interview de duhammel dans libe

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romain2
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Message par romain2 » jeu. avr. 20, 2006 3:43 pm

Duhamel le cinéma sur mesures

Associé à la Nouvelle Vague, le compositeur qui a travaillé pour Truffaut, Godard et Tavernier raconte l'alliance délicate entre les films et leur musique.

par Ludovic PERRIN
QUOTIDIEN : samedi 15 avril 2006

Antoine Duhamel
En concert à l'Opéra théâtre de Limoges (87) le 15 avril ; à Dunkerque (59) le 4 juin ; à Poitiers (86) le 2 juillet.
CD : «Le cinéma d'Antoine Duhamel vol. II» (Universal Jazz)

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«Entre 1960 et 1965, ma carrière est faite.» Compositeur de la Nouvelle Vague, Antoine Duhamel n'a certes pas la célébrité de Georges Delerue ou Michel Legrand. Il ne s'est pas moins illustré avec Godard ou Truffaut. Né en 1925, même âge et même conservatoire que Pierre Boulez, ce féru de cinéma depuis la Libération a fait de cet art appliqué le terrain pour d'autres formes d'expression. L'opéra, par exemple, vers lequel il revient quand il prend ses distances avec le cinéma. Alors qu'il recrée Cinq sens et non sens, oeuvre rimbaldienne pour 350 instrumentistes et choristes, rencontre avec le compositeur de Pierrot le fou et Domicile conjugal.

De quels cinéastes vous êtes-vous senti le plus proche ?

Longtemps, ça a été Godard. Je viens de terminer la musique du film posthume de Jean-Daniel Pollet, composé de milliers de photos de sa maison, ses fleurs. Un projet très beau mais difficile à monter. Je me rappelle également mes amitiés avec des cinéastes comme Bertrand Tavernier. Nous allions voir énormément de films ensemble. Avec Philippe Condroyer aussi, les débuts furent intenses.

Qu'apprenez-vous de Godard ?

Comment on se sert de la musique. Car la plupart des cinéastes ne l'entendent pas. Pour eux, une phrase musicale, on la coupe quand on veut. Jean-Luc Godard, lui, sait faire. Dans Pierrot le fou, par exemple, pour la traversée de la Durance, il arrête le thème de Ferdinand exactement au bon moment. J'avais déjà remarqué la manière formidable dont il se servait de la musique, notamment dans Masculin Féminin, comment il avait désarticulé un concerto de Beethoven. Tout ça m'a mis en confiance quand il m'a contacté. Pour Pierrot le fou, il m'avait demandé de ne tenir aucun compte du minutage ni de la place des musiques, je devais juste lui fournir des thèmes qu'il placerait ensuite comme bon lui semblerait. Il m'avait indiqué Schumann. Au début, je ne voyais pas le rapport. Puis j'ai compris qu'il faisait allusion à l'homme souffrant de schizophrénie. Ce poète fantasque, à la fois Pierrot et Arlequin, c'était le personnage de Pierrot-Ferdinand. Je suis donc parti de cette dualité pour développer deux thèmes, chacun sur huit minutes. Ça me faisait rêver de pouvoir enfin écrire librement.

La collaboration avec François Truffaut semble moins vous tenir à coeur...

Effectivement, le dialogue passait mal. Je pense qu'il s'intéressait peu à la postproduction. La finition lui semblait secondaire. Il ne venait pas beaucoup aux enregistrements. Ou rapidement. Ce qui me vexait. Cette déception m'a amené à ruer dans les brancards. Puis, un jour, après Domicile conjugal, François Truffaut m'a annoncé la fin de notre collaboration. Je le regrette. Car j'ai revu le film à la télévision et finalement, cette musique est la plus intéressante que j'ai faite pour lui... Souvent, les gens de cinéma mettent de la musique parce qu'il le faut. En réalité, ils s'en foutent. Par exemple, j'ai eu une affaire très pénible avec Olivier Assayas, pour les Destinées sentimentales. Sur les conseils de son producteur, il m'avait commandé une musique originale. Mais, assez vite, j'ai senti qu'il restait attaché aux airs du répertoire choisis pour son prémontage. Et qu'il n'avait guère envie d'en changer. Alors, mes musiques, il ne s'en est pas servi.

Arnaud Desplechin, autre enfant de la Nouvelle Vague, vous a aussi fait faux bond avec Esther Kahn. Ce genre de déconvenues arrive souvent ?

Oui, il existe une espèce de négligence, qui donne le sentiment très XVIIIe siècle que le compositeur est un valet, une carpette. Dans beaucoup de cas, le choix du musicien est secondaire. Moi, je me bats pour la reconnaissance et la dignité de cette musique. A Berlin en 2002, alors que j'avais reçu un ours d'argent pour Laissez-passer de Bertrand Tavernier, la presse n'a parlé que de Jacques Gamblin [prix d'interprétation masculine pour le même film, ndlr]. J'étais fou de rage.

Depuis la Sirène du Mississippi, vous avez régulièrement envie d'arrêter le cinéma.

Truffaut avait taillé dans le gras, sans faire attention. A la fin du film, par exemple, j'ai un grand thème lyrique qui se développe sous un texte. Alors qu'il devrait planer un peu, on l'entend à peine. C'est ce genre de déboires qui m'a fait prendre à plusieurs reprises mes distances avec le cinéma. Après Domicile conjugal et Un Condé, dont je n'étais pas satisfait mais qui furent des succès en salles, j'avais fait M comme Mathieu. Là j'étais content, mais le film n'est pas sorti. Le cinéma m'emmerde alors, je le trouve injuste. Mon père, Georges Duhamel, qui avait une idée stricte de ce que devait être son métier d'écrivain, jugeait cet art totalement contingenté par le financement. C'est pour cela qu'il a préféré s'abstenir d'écrire pour lui.

Comment se fait-il alors que vous ayez travaillé avec Truffaut ?

Je connaissais la Nouvelle Vague. Beaucoup de jeunes cinéastes voulaient travailler avec moi. Ce fut une série de rencontres, jusqu'à la Mort en direct. A ce moment-là, changement d'orientation : je fonde à Villeurbanne une école de musique, chose dont je suis le plus fier. Ça rejoignait une idée de mon père. Ayant appris la flûte à 32 ans pendant la guerre de 1914, il pensait que la pratique amateur est essentielle à la vie de la musique. J'ai ouvert l'école au jazz, aux musiques traditionnelles, à la chanson, puis à la musique baroque, au rock, à l'ethnomusicologie. Façon de combattre le cloisonnement.

Vous avez également composé et orchestré beaucoup de chansons.

Dans les années 60, ça me passionnait de faire chanter des comédiens. Avec Remo Forlani, j'avais proposé Mic et Mac à Anna Karina pour Pierrot le fou. Ça décrivait de manière humoristique la situation délicate que vivait Anna Karina avec Jean-Luc Godard, son mari, et Maurice Ronet, son amant. Godard n'a pas trop apprécié. Il y a eu aussi l'album Jeanne chante Jeanne, avec Moreau. Etant amateur de comédie musicale, d'opérette et d'opéra, j'aime la chanson au coeur d'une action. De ce point de vue, j'adore Gershwin, Kurt Weill... Malheureusement, la plupart du temps, le scénario est conçu sans chanson. Dans les années 30, au début du parlant, il y en avait tout le temps en situation. Dans Pépé le Moko par exemple, où le personnage visite la vieille Fréhel et lui passe le disque qu'elle chantait quand elle était jeune. Bouleversant. Hélas, je connais très peu de chansons qui ne soient pas juste plaquées.

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