En 2004 sortait sur les écrans Van Helsing de Stephen Sommers. Il n'a pas fallu bien longtemps pour que le fossé établi à la sortie de The Mummy returns entre "pro" et "anti-Sommers" ne se creuse davantage. Ce qui pour les uns se résumait à de la bouillie visuelle déconseillée aux épileptiques et au traitement sonore qui fait saigner des oreilles, était un divertissant grand huit à la bourrinade assumée et jouissive pour les autres.
Le cas Sommers est particulier dans le paysage hollywoodien. Il écrit, produit et réalise tous ses films (sauf Deux doigs sur la gâchette réalisé par Deran Sarafian et Le roi Scorpion dirigé par Chuck Russell) au sein d'une industrie de blockbusters habituée à travailler par cheptel de scénaristes dont les écrits seront confiés à un artisan illustrant plus ou moins efficacement le produit. Cela suffit-il pour autant à qualifier Sommers d'Auteur ? Tout au moins, on peut dire qu'il a un style bien à lui, dont les qualificatifs ont été évoqués au début. Sommers a donc carte blanche auprès du studio, puisque de toute façon, il va faire sans qu'on ait besoin de lui forcer la main du blockbuster d'été familial. En effet, Sommers use de sa liberté non pas pour aboutir à des oeuvres plus denses d'un point de vue critique, mais pour faire ce qu'il aime : du divertissement spectaculaire. Quoique l'on verra que Van Helsing fait un peu exception à la règle. Par contre, il est clair que Sommers est un cinéphile averti et determiné. Peut-être que l'accueil mitigé est dû aussi à une mauvaise compréhension de ses volontés.
Tout d'abord, la surenchère souvent reprochée est tout à fait logique. Chez lui, la suspension d'incrédulité atteint un tel niveau que le seul équivalent possible est celui d'un dessin animé de Chuck Jones ! Pas étonnant de voir un plan fixe en hauteur d'un loup-garou tombant dans un ravin et provoquant après sa chute un cercle d'eau, tout comme le coyote provoque un cercle de poussière. Aucunement surprenant de voir une des fiancées de Dracula se prendre pour le diable de Tasmanie (les cris en moins, ouf), une vache se faire happer et jeter à travers un mur, des chevaux champions du monde de saut en longueur, une heroine qui lors de la sequence de la premiere attaque du village, se mange des murs et des arbres à plusieurs reprises, effet comique soutenu par les bruitages. On est en plein dans l'absurde et le burlesque, dans l'exagération, bref, dans le spectacle total ! Il y a de tout et pour tout le monde : de l'action, de l'aventure, du fantastique, de l'horreur, de la comédie et même du western (de la présentation du héros "Wanted" jusqu'au plan final très "lonesome cowboy").
Mais Van Helsing, c'est aussi un hommage à tout un pan de l'expressionnisme à travers le jeu outré des fiancées (voir même de Dracula dont on a reproché le manque de charme de l'acteur... à sa décharge, Nosfératu n'est pas non plus un modèle de beauté), la forme tordue des habitations, le haut... très haut... très très haut château de Dracula, ainsi qu'un traitement de la photographie donnant la part belle aux jeux d'ombres (on devine avant de voir réellement : la transformation de Dracula en monstre au début du film par exemple).
Aussi, quand on met en scène les grandes figures du fantastique, quoi de plus normal que de citer Universal ( ou la Hammer que ce soit au détour d'un decor ou d'un plan (Le début du film reprenant l'attaque des villageois dans Frankenstein voir Dracula, Prince des Tenebres; le bras du vampire qui sort du tombeau de la même maniere que Christopher Lee dans Le Cauchemar de Dracula).
Inspiré par des films dont l'efficacité n'est plus à prouver, Sommers veut être efficace lui aussi. Pour cela, il accorde une grande importance au rythme. Le spectateur doit être absorbé par le déferlement d'images devant lui. Certains choisissent le montage épileptique, lui préfère les scènes d'actions à foison quitte à sacrifier l'épaisseur de son histoire. Il a les moyens de le faire, alors pourquoi s'en priver ? Rien que l'introduction compte trois grosses scènes d'actions (Frankenstein, Mr Hyde et le loup-garou), à peine arrivé dans le village, rebelotte. Difficile de ne pas parler de la musique, le réalisateur ayant trouvé un alter-ego en la personne d'Alan Silvestri. La musique de film est généralement définie comme servant à raconter ce que l'on ne nous montre pas. Ici, la musique est une sorte de mégaphone omniprésent, aidé par le plus grand orchestre que Silvestri ait jamais dirigé avec un nombre impressionnant de percussions différentes chères au compositeur de Predator. Là où la majorité des films récents se contentent de deux thèmes (quand il y en a...), un thème d'action et un autre d'amour, Silvestri propose en plus, un thème pour Van Helsing, Dracula et le monstre de Frankenstein. Silvestri a souvent l'occasion de se lâcher et il ne s'en prive pas et fait souvent echo dans une tonalité plus grâve à son travail sur le précédent film de Sommers, épique par excellence.
Cependant la première partie du second acte (entre la première demi-heure et la première heure) prend son temps d'installer les élements qui seront exploiter dans la deuxième partie du film. Cette partie n'est pas particulièrement lente mais contraste beaucoup avec la fureur qui l'entoure et c'est là que la plupart des gens ont décroché. Dommage car Sommers essayait de corriger les erreurs d'un Mummy returns, une sorte de brouillon de l'expérience (expérimental ?) Van Helsing, qui partait un peu trop en roue libre et la(i)ssait des spectateurs en cours de route.
Cette correction s'applique également à l'attention que porte Sommers à la dimension humaine, humaniste et dramatique des personnages. Dans ce film, Van Helsing ne prend pas réellement de plaisir à combattre, car lui seul voit l'homme derrière le monstre quand ce dernier rend l'âme. Au Vatican, toutes les religions travaillent ensemble pour l'équilibre et la paix commune, ce qui en cette période post-11/09 est assez appréciable dans un film de cette ampleur et considérant l'absence totale de message ou de parti-pris dans l'oeuvre de Sommers. La place de la religion dans la vie des hommes est au coeur de ce film car chacun la vit à sa manière et la reçoit différemment, les héros comme leur créateur. À ce titre, il est intéressant d'observer que ce film est dédié à la mémoire du père du réalisateur. Et là tout devient limpide : le grand enfant qui faisait naïvement ressusciter son héroïne de Mummy Returns grâce au surnaturel la tue définitivement dans Van Helsing, et par le héros qui plus est ! Sommers accepte le fait que la mort ne touche plus seulement les méchants mais aussi les personnes auxquelles on est attaché. L'imagerie d'Epinal à la fin du film avec cette famille heureuse réunie dans le ciel est certainement le moyen qu'il a trouvé pour accepter la mort et y voir quelque chose de positif. Comme le souligne Anna Valerious devant un Van Helsing désabusé :"La mort n'est pas une fatalité... quand on sait où regarder".
Une chose est sure : Sommers a mûri. S'est-il assagi pour autant ? Rappelons qu'après le second épisode de La Momie, il voulait se consacrer à la réalisation d'un petit film romantique ! Tel un Michael Bay au milieu de son île, le naturel est revenu au galop, mais était-ce la dernière fois ? Sommers n'a-t-il pas voulu en profiter pour tester les limites de sa conception du divertissement ? La rumeur voulait que c'était belle et bien après Van Helsing que Sommers lancerait son film à petit budget. Pourtant après avoir quitté le navire du remake du Choc des Mondes pour une autre production qu'il a finalement laissé à un autre pour cause de "divergences artistiques", il revient à bord de ce film catastrophe avec en plus Spielberg à la production. Gageons que le producteur saura limité les ardeurs de son nouveau poulain en se servant à bon escient de son sens du divertissement décomplexé, tout en lui faisant profiter de son expérience de "blockbuster maker".
nb : j'ai vu le film 6 fois... au cinéma
et autant en dvd