Exodus - Gods and Kings de Ridley Scott (2014)

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Manolito
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Re: Exodus - Gods and Kings de Ridley Scott (2014)

Message par Manolito » dim. mai 17, 2020 11:12 am

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"Exodus" est le seul Ridley Scott que je n'avais pas vu jusqu'à maintenant. Il est sorti en salles à une époque à laquelle, pour des raisons personnelles et professionnelles, je suis allé très peu au cinéma.

Je lis plus haut que l'histoire de l'Exode a été beaucoup racontée. Mais au vu des moyens à mettre en oeuvre, il n'y a eu que peu d'adaptations filmées de l'Exode : essentiellement les deux versions de "Les dix commandements" de DeMille (la muette que je n'ai pas vue et la parlante des années 50) ainsi que "Le roi d'Egypte".

J'aime bien la version des années 50, grand spectacle majestueux, un peu long, mais prenant le temps de rentrer dans les détails et parvenant à un bon équilibre entre l'humain et le spectaculaire. C'est cependant une version très traditionnelle. Je n'avais pas aimé "Le prince d'Egypte" que j'avais trouvé archi-conventionnel, sirupeux, et puis trop ramassé sur une durée trop courte...

"Exodus" est un drôle de pari pour Scott, qui signe ici son quatrième, et dernier à ce jour, "Epic", après le triomphe de "Gladiator" et les accueils plus mitigés de "Kingdom of heaven" et "Robin des bois". "Exodus" se joue sur une durée plus raisonnable que les "dix commandements", il ne dure "que" deux heure trente contre les trois heures quarante du film de DeMille.

Scott a taillé dans les événements précédant son action (l'abandon et l'adoption de Moïse bébé) : "Exodus" commence alors que Ramsès et Moïse sont de jeunes adultes, avec la bataille de Kadesh. Moment historique à grand spectacle que Ridley Scott réussit tout à fait. Le plus célèbre des affrontements du temps des chars et du bronze donne lieu à des images de charges et de combats spectaculaires et visuellement soignées.

Scott coupe aussi dans la fin, comme l'a relevé Arioch : le passage qu'il mentionne (Moïse se voyant interdit par Dieu d'aller en Terre promise) apparaît bien dans la version DeMille. Si il n'y pas ce passage dans "Exodus", il n'empêche que Moïse a bien des pressentiments sombres pour le futur, en particulier pour l'avenir des Hébreux, ensemble de tribus hétéroclites et vouées à se déchirer. "Le prince d'Egypte" aussi finit plus tôt que "Les dix commandements", au moment de la remise des Tables de la Loi.

"Exodus" est comme toutes les fresque de Scott, visuellement magnifique, peaufiné avec l'aide de ses complices habituels : en particulier Arthur Max à la direction artistique et la costumière Janty Yates qui font de ses films historiques de vraies perles visuelles, foisonnantes de détails, de couleurs, de matières et de textures, totalement pensées pour le très grand écran. Ce sont à chaque fois une fête pour les yeux, que seul ce réalisateur parvient encore à sortir sur les grands écrans de nos jours.

Ridley Scott n'est pas un réalisateur très religieux à mon avis ; l'idée du divin est très peu présente dans son cinéma, ou sinon comme une idée dévoyée et irréaliste (dans "Alien Covenant" par exemple, avec David qui se prend pour Dieu). Le centre du cinéma de Scott, c'est l'humain ; tout ce qui relève du mystère chez l'homme (le goût de l'art et de la beauté, le goût de la liberté par exemple) est chez Scott ce qui fait l'essence de l'humain. Le divin n'y a pas sa place.

J'étais donc curieux de voir comment il allait se sortir d'"Exodus". Déjà, comme l'ont remarqué Arioch et Dragonball, il rationalise les événements présentés, donnant des explications logiques et plausibles aux plaies d'Egypte ; ou en tout cas les présentant comme des phénomènes "explicables" (par le savant égyptien notamment).

De même, l'ouverture de la Mer Rouge est présentée comme une succession de deux phénomènes "naturels" : un retrait rapide de la marée d'une ampleur exceptionnelle, puis un tsunami non moins exceptionnel (mais pas plus que ce qu'on a vu lors du Tsunami de 2004). Cette rationalisation des événements de l'Exode est un courant historique contemporain classique aujourd'hui ; mais les mettre à l'écran est culotté !

Dans le même ordre d'idée "rationnel" : comme l'écrit Arioch, Scott laisse ouverte une porte sur l'idée qu'il n'y a pas de Dieu dans cette histoire ! Bon, personnellement, je ne vois pas le récit comme cela, il y a trop de coïncidences et prescience en jeu, mais cela reste une interprétation possible du métrage, puisque seul Moïse "voit Dieu" - ou plutôt, il est le seul à voir l'Ange, car il reproche à un moment à l'enfant-ange qu'il ne veut plus parler "à un messager".

Dans la mise en forme du religieux, Scott déjoue les attentes : la seule scène fantastico-relgieuse est celle du buisson ardent, filmée de manière très étrange, onirique, avec ce Moïse englouti dans une boue noire. Là aussi, la rationalisation pointe son nez puisque tout son entourage est convaincu que ce souvenir de Moïse est la conséquence d'un mauvais coup pris sur la tête !

Par la suite, les échanges avec Dieu sont dénués de tout effet spécial : pour l'ange, on est dans l'idée pasolinienne d'un simple enfant en guenilles : pas d'ailes, pas d'auréoles, pas de voix grondante ou d'yeux nimbés de lumière.

Les moments les plus étonnants sont sans doute le veau d'or et la remise des tables de la loi. Dans le film de DeMille, elles donnent lieu à des scènes à effets spéciaux mémorables et très influentes (en particulier pour Spielberg qui s'en est rappelé pour les dénouements de "Les aventuriers de l'arche perdue" et "Rencontre du troisième type").

Ici, ce sont des scènes elliptiques (voire très elliptiques pour le veau d'or, un court plan vu de très loin !), au parti-pris très surprenant, avec Moïse qui grave lui-même les tables de la loi dans une caverne sous la dictée de l'ange. Cette dernière scène, cruciale, incarnation totale de l'Alliance, du "contrat" entre le peuple hébreux et son Dieu, est vraiment la plus étonnante, la plus osée du métrage.

Le rapport de Moïse et Dieu est ici très tourmenté ; Dieu trouve les actions de son serviteur inefficaces et laborieuses. Moïse dispute les instructions célestes et leur reproche leur cruauté. Car si dans sa révolte contre le pharaon, Moïse utilise des moyens de guérilla, de harcèlement, pour ne pas dire de terrorisme, alors Dieu lui est carrément un super-terroriste, un "tueur d'enfants" comme le définit Ramsès !

Ce rapport tumultueux entre Dieu et son peuple est une clé importante de l'ancien testament, que Scott a vraiment mis en avant, avec son Moïse révolté et colérique, qui ne trouve la paix que bien tard dans le film, après la traversée de la mer rouge.

Evidemment, il y a des anachronismes, inévitables, comme pour tous les films parlant de l'Histoire très ancienne. Rares sont les films sur l'antiquité qui y échappent. Ainsi, les films sur l'exode mentionnent rarement que les hébreux vivent dans un monde esclavagiste, et qu'ils sont autant esclavagistes eux-mêmes que les égyptiens ! La tirade droit-de-l'hommiste anti-esclavage de Moïse dans "Exodus" est ainsi totalement anachronique.

Il est exact qu'avec les maltraitances subies par les Hébreux, Scott renvoie aux persécutions de la seconde guerre mondiale (Moïse se lamente qu'on "brûle" son peuple) : je ne vois d'ailleurs pas en quoi c'est une "faute de goût" comme mentionné plus haut dans ce thread ! C'est un rapprochement entre divers faits historiques qui se répondent et dialoguent à travers les époques. Le cinéma historique de Scott utilise souvent cette méthode (en particulier dans "Kingdom of Heaven", son film historique le plus réussi), pour stimuler le spectateur d'aujourd'hui, échanger avec lui.

Autre trait typique du cinéma de Ridley Scott, au moins depuis "Gladiator" avec le personnage de Commode, il y a cette idée du mauvais chef, du pouvoir dévoyé, qu'on retrouve avec le Roi de France de "Robin des Bois", mais aussi avec les chefs d'expédition de 'Prometheus" ou "Alien Covenant", ou même le milliardaire de "Tout l'argent du monde" : Ramsès est totalement dans cette lignée de leaders trop indolent et/ou manquant trop de compassion et d'humanité pour être de bons chefs. Contrairement à Moïse auquel même Dieu reproche son trop-plein de compassion. Cette obsession pour ces portrait de tyrans de la part de Ridley Scott ne manque pas de sel quand on se rappelle que lui même a connu une mutinerie de ses équipes (sur le tournage de "Blade Runner") qui lui reprochaient d'être tyrannique ! L'art de commander, de mener des hommes, que ce soit une nation ou une entreprise artistique, est au coeur d'"Exodus", et aussi du cinéma de Ridley Scott récent, de plus en plus comme les années passent.

"Exodus" n'est pas un film parfait, son tandem d'acteurs est honorable, mais n'a pas le star-power "bigger than life" du duo Heston-Bryner, l'imagerie est parfois un peu terne, certaines scènes inégales. Mais comme pour "Robin des Bois" ou ses derniers films de SF, Scott, que certains aiment à présenter comme un gros vendu, a les couilles de ne pas se réfugier dans la facilité, de ne pas donner au public exactement ce qu'il attend (en l'occurrence un remake bien sage des "Dix commandements"). Il déjoue les attentes du public : "Exodus" a en particulier mal été reçu par les communautés religieuses américaines pour son approche tortueuse et distante de la question religieuse. C'est en tout cas un film audacieux, d'un réalisateur qui, tout en restant dans les rails du grand spectacle hollywoodien, refuse les chemins conventionnels et n'hésite pas à prendre le spectateur à rebrousse-poil.

Vu sur le bluray fox.

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Karen
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Re: Exodus - Gods and Kings de Ridley Scott (2014)

Message par Karen » dim. mai 17, 2020 11:23 am

Merci pour cette chronique!

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