Whity - Rainer W. Fassbinder (1970)

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Whity - Rainer W. Fassbinder (1970)

Message par savoy1 » jeu. juin 11, 2009 1:44 pm

Voici qui devrait en ravir plus d’un en ces pages : la chronique d’un « western » allemand, qui plus est une œuvre atypique et rare, d’un réalisateur qu’on n’attendait pas en ces terres.

Une riche propriété terrienne. Un patriarche apparemment atteint d’un mal qui ne lui laisse que peu de temps à vivre. Une jeune épouse libidineuse. Deux fils dont un taré apathique. Un serviteur noir, le bien nommé Whity du titre, subissant et acceptant brimades et sévices, tant de la part de la famille, se targuant pourtant de quelques idées progressistes, que des piliers de bar du saloon local. Et une chanteuse prostituée cherchant à s’en sortir, de préférence en compagnie de notre héros black.
Et c’est partie pour une tragédie envoûtante, tout ce petit monde attendant la disparition prochaine du paternel à la poigne de fer pour les évidentes raisons de pouvoir et d’héritage.

Dès le départ, le ton est donné. Lors du repas de famille, l’épouse parle des progrès de la médecine qui permettraient une injection fatale et sans douleur à destination du fils débile. Puis elle hurle à l’apparition du serviteur amenant un plat, entraînant l’administration du fouet sur celui-ci. S’ensuit un autre passage à tabac par quelques clients du saloon n’appréciant guère la présence d’un noir. Ce dernier continuera pourtant stoïquement à aller et venir au mépris des coups.
La suite, du même tonneau, se déroulera de façon métronomique entre les affaires de famille et les relations tendues avec la prostituée et les cow-boys du saloon. L’illustration des rebondissements attendus étant agrémentée de toute la provoc’ inhérente au réalisateur et au contexte social de ce début des 70’s.
L’épouse, observée par le demeuré, se tape le médecin mexicain, demandant à être frappée. Le père, n’ayant pu honorer sa femme, toujours sous les yeux du fils, se venge sur celui-ci en le flagellant sur le porche. Whity se propose alors de prendre sa place, provoquant la pamoison au sens propre de la maîtresse de maison. La toilette des chevaux à l’écurie se clôt par quelques chastes baisers entre le serviteur et le fils taré, encore lui. L’autre rejeton, que l’on pouvait penser normal, n’est pas en reste, on le retrouve en corset et porte-jarretelles, désirant être coiffé.
Bref, un véritable attirail de cabaret underground. Appuyé par un jeu d’acteur entre fièvre et hébétude. D’autant plus que les deux frères arborent un faciès crayeux, lèvres et yeux rougeoyants, digne d’un zombie fulcien. Ceci dans des tenues de velours vert. Whity pour sa part étant affublé d’un ensemble rouge vif, digne d’un pimp de blaxploitation.

La mise en scène, quand à elle, est, mine de rien, particulièrement travaillée. Quasi tournées exclusivement en intérieurs, agrémentées de personnages souvent statiques dans des poses hiératiques, chaque scène se voit balayée par une caméra sans cesse en mouvement, d’une fluidité sans heurts. Dans des décors assez surchargés, angelots en stuc et poupées, miroirs et cadres, de longs plans permettent de faire vivre et respirer chaque situation, les mouvements d’appareil balayant de façon latérale chacun des protagonistes à tour de rôle. Un dispositif très prenant. Tout ceci dans un scope aux couleurs chaudes.

Le film est de plus illustré par une bande musicale très présente. Des compositions étonnantes parsemées d’à peine quelques sonorités westerniennes. Et beaucoup de chansons aux mélodies discordantes, pas du tout évidentes, et complètement en porte-à-faux avec le tout-venant de la ritournelle de saloon ou la ballade de crooner habituellement de rigueur. A écouter assurément.

Bref à découvrir pour tout amateur de western, de cinoche underground 70’s, ou de l’œuvre de Fassbinder. On gagne sur tous les tableaux avec cette variation sur le genre.

Découvert sur Cinéma Classic, dans une superbe copie vo, à peine entachée par quelques rares rayures verticales vertes. Même pas assortie d’un quelconque avertissement à destination d’aucune tranche de téléspectateur.
Quelques précisions apportées en amont par la présentation de J.J. Bernard. Cette même année 70 Fassbinder aurait enquillé pas moins de 7 films. Et il était alors sous l’emprise de drogues et alcools. Ce qui ne se ressent étonnement pas au vu du résultat, certainement grâce au travail chiadé du chef opérateur Michael Ballhaus. Quant au grand black, Günter Kaufmann, il était alors l’amant du réalisateur, ceci pour le côté frasques sexuelles de l’histoire.

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Re: Whity - Rainer W. Fassbinder (1970)

Message par Manolito » sam. mars 19, 2011 5:11 pm

"Whity" est un peu à part dans le début de carrière de Fassbinder, un western que celui-ci est allé tourné avec sa troupe habituelle dans la région d'Almeria en Espagne. On est pourtant très loin d'un cinéma commercial à l'italienne, Fassbinder trace obstinément le sillon de son cinéma à très forte personnalité.

Le monde se partage entre les faibles et les forts. Et si Whity appartient au camps des premiers, des doux, des victimes, il est aussi coupable de refuser la liberté, l'indépendance et de se complaire dans son existence dégradante. La présence de l'alcool, antidote au malheur, la représentation de l'exploitation sous toute ses formes, les rapports d'argent, le cabaret... Nous sommes bien chez le plus prolifique des réalisateurs allemands des années 70.

Pourtant, "Whity" n'est pas sa plus grande réussite. Son budget vraiment microscopique ne colle pas forcément à l'univers du western, des soucis techniques sont notables (problèmes de synchro notamment), les chansons sont envahissantes, surtout vers la fin, la mise en scène n'est pas forcément la plus maîtrisée de son réalisateur - des films de la même période sont plus convaincants comme "Méfiez vous de la sainte Putain". On apprécie l'esprit réellement subversif - c'est si rare ! - qui traverse ce métrage, mais cette succession de situation outrageantes n'a pas la clarté et la rigueur de discours des meilleurs Fassbinder. Une curiosité, intéressante, avec ses bons moments, dans sa filmographie.

Vu sur le dvd français opening, qui propose une copie 2.35 16/9 de très bonne tenue, avec une excellente résolution, pratiquement sans bidouillage numérique, des couleurs et des contrastes robustes, un rendu respectueux du grain. On repère quelques soucis vidéos ponctuels (des moirages essentiellement), mais rien de bien grave. Pour une production à l'origine très modeste, c'est une très bonne copie. Bande son mono 2.0 bien rendu, n'appelant pas de commentaire.

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