Les amants diaboliques - 1943 - Luchino Visconti

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Manolito
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Les amants diaboliques - 1943 - Luchino Visconti

Message par Manolito » mar. juin 05, 2018 7:38 pm

Titre italien : Ossessione

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Gino, mécanicien au chômage et sans le sou, arrive dans une taverne et se lie d'une passion sensuelle avec la patronne Giovanna. Le mari de celle-ci, un homme âgé, n'y voit que du feu et se prend même d'amitié pour Gino qu'il invite à rester auprès d'eux. Les deux amants, lassés de se cacher, envisage d'assassiner l'encombrant mari...

Luchino Visconti naît au début du siècle, rejeton d'une famille de la très haute aristocratie lombarde par son père et d'une très grosse fortune de l'industrie chimique par sa mère. De ce mélange naît donc un garçon à la fois très féru de Culture et d'Art, mais aussi élevé dans une vraie éthique du travail. A 30 ans, il trouve sa voie en devenant assistant du réalisateur Jean Renoir en France. Non seulement il y apprend le métier du cinéma auprès d'un Maître, baignant ainsi dans des idées esthétiques neuves, mais il se familiarise aussi avec les idées du Front Populaire et du Parti Communiste, qui resteront les siennes jusqu'à sa mort.

Au début des années 40, alors qu'il rentre en Italie, Mussolini et son fils croient fortement en l'avenir du cinéma comme forme d'expression artistique, et mettent en place des institutions qui seront la base de l'essor du cinéma italien de l'après-guerre : le studio Cinecitta et l'école Centro sperimentale di cinematografia.

La revue "Cinema" permet à des jeunes réalisateurs de l'époque de se réunir et de lancer les bases d'une esthétique paradoxalement imprégnée d'idées de gauche : le néoréalisme italien. L'idée est de capter la vraie vie du peuple italien, de tourner en décors naturels, de filmer les vrais problèmes du peuple, le vrai visage de l'Italie ; et non un monde imaginaire et glamour totalement fabriqué en studio. Parmi ces jeunes turcs, Giuseppe De Santis, le futur réalisateur de "Riz amer", et Luchino Visconti.

Pour leurs premier film, ils choisissent d'adapter officieusement "Le facteur sonne toujours deux fois", déjà transposé en France par Pierre Chenal quelques années auparavant avec "Le dernier tournant", titre pionnier du Film Noir français, mais pas encore aux USA. Pour les rôles principaux, Visconti recrute deux vedettes du cinéma italien d'alors : le jeune Massimo Girotti, appelé à une grande carrière dans l'après-guerre, de Pasolini à Bava père en passant par Bertolucci ; et surtout Clara Calamai, Star de l'époque dont le rôle le plus fameux par ici est sa présence clin d'oeil en actrice nostalgique et un peu givrée dans "Les frissons de l'angoisse" !

"Les amants diaboliques" est donc un Film Noir, suivant l'histoire aujourd'hui bien connud du "facteur sonne toujours deux fois" ; récit que Visconti emploie en particulier pour mettre en scène un drame très sensuel, une passion clairement sexuelle entre deux jeunes gens, dans l'ambiance sombre et pesante de cette taverne, de ce lieu de passage poussiéreux et accablé de chaleur. L'interprétation de Clara Calamai est particulièrement excellente et impressionnante de richesse et de nuance. Déjà, on trouve toute la maîtrise, le perfectionnisme, le soin maniaque du détail chez Visconti.

On reste abasourdi de voir tourné sous le fascisme un film mettant en scène de façon nettement positive un personnage dépeint relativement nettement comme homosexuel (l'Espagnol, le personnage le plus positif du film !) ; ou encore une prostituée. Car l'Italie que veulent filmer Visconti et ses complices, est celle des manoeuvres, des vagabonds, des chômeurs, des filles contraintes à se prostituer par la misère.

Dans les arrière-plans de scènes, on repère des ouvriers qui travaillent dans un champs, ou qui retapent une église... Non seulement, nous avons un drame sensuel d'une puissance totale, la meilleure adaptation de son récit à mon avis, mais nous assistons aussi à ce projet de cinéma expérimental, mais totalement maîtrisé, totalement neuf, sans qu'aucune contradiction stylistique n'apparaisse.

La faiblesse de "Les amants diaboliques", c'est sans doute sa longueur : en voulant tracer les portraits élaborés d'un vagabond (l'Espagnol) ou d'une prostituée (la danseuse), alors qu'ils sont relativement périphériques à l'intrigue, Visconti disperse un peu l'attention du spectateur et entraîne son film vers les 2h20, un peu trop pour cette histoire. C'est là où le projet de ce film mi-Noir, mi portrait de l'Italie de son temps, capote un peu.

Et pourtant, quelle maîtrise dans la mise en scène, la direction d'acteurs, quel soin dans les décors, quelle variété dans les cadrages, dans les mouvements d'appareil, quelle modernité et quelle universalité dans ce cinéma ! Premier vrai film de Visconti, "Les amants diaboliques" s'impose par l'ambition de son projet : rien de moins que d'imposer une façon de faire du cinéma totalement neuve dans son pays ; et aussi par sa qualité artistique évidente, qui sera la signature de son metteur en scène tout au long de sa carrière.

Néanmoins, "Les amants diaboliques" est très vite censuré, son négatif détruit, seule une copie complète conforme aux intentions de Visconti a survécu au années du fascisme. Une copie d'assez mauvaise qualité et qui a donné jusqu'à maintenant d'assez mauvais supports en cinéma domestique.

Je l'ai pour ma part revu sur le dvd américain Image de 2002, qui non seulement part de cette copie assez mauvaise (contraste grisâtre, plans parfois charbonneux, parfois surexposés, saletés en tous genre, résolution mauvaise) mais en rajoute dans le mauvais traitement numérique : compression pâteuse, halos, ghosting (sans doute dû à un passage 50hz pal vers du 60hz ntsc fait n'importe comment). VO italienne mono criarde, avec STA. Bref, ça fait de la peine, mais bon, je l'ai toujours vu comme ça ; même au cinéma, les copies qui circulent ne sont guère reluisantes. Il existe un dvd français sortis chez Films sans frontières, guère meilleur dans mes souvenirs, avec une définition un peu moins pire, mais trop sombre.

Il n'y a aucun bluray pour ce métrage, même si je me rappelle avoir lu qu'il était question d'une restauration HD il y a quelques années, dans un pays scandinave. Est-ce que le numérique pourra donner aux "Amants diaboliques" une seconde vie technique dont il aurait grand besoin ? La réponse reste en suspens encore aujourd'hui...

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