Ancien du service de cinéma des armées, vétéran d'Indochine, prisonnier à Dien Bien Phu, Pierre Schoendoerffer se lance dans le cinéma de fiction avec trois premiers films (dont le premier écrit par son ami Joseph Kessel), tous produits par Georges de Beauregard, producteur emblématique des premiers films de Varda et Godard. Mais Schoendoerffer est remarqué réellement avec sa quatrième oeuvre, "La 317ème section", film de guerre inspiré de ses souvenirs d'Indochine, adaptant son propre roman : il y gagne un prix du meilleur scénario à Cannes et réunit deux acteurs qui lui seront fidèles tout au long de sa carrière : Bruno Cremer et Jacques Perrin.
Arrive ensuite, toujours produit par Beauregard, cet "Objectif 500 millions", film devenu rare, qui aborde une autre question liée aux guerres coloniales françaises et à la Grande Muette : celle de la guerre d'Algérie. Schoendoerffer écrit le film à quatre mains avec Jorge Semprun, ancien résistant et ancien déporté, figure d'intellectuel de gauche tutélaire dans la France d'alors. On pourrait s'attendre alors à un portrait à charge, sans finesse, du capitaine Richau, vétéran d'Algérie et membre violent de l'OAS. Mais Schoendoerffer et Semprun savent maintenir l'équilibre.
Déjà, "Objectif 500 millions" est un pur film de genre à la racine, un Film Noir basé sur la figure très classique du vétéran démobilisé qui se retrouve embarqué dans une salle affaire. Ici, un casse aérien audacieux. Mais derrière ce Film Noir, la partie la plus intéressante est évidemment le portrait de Richeau, que le métrage nous présente dès les premiers plans posant devant la glace, dans une chambre miteuse, avec un revolver magnum, allant jusqu'à mimer son propre suicide, canon sur la tempe.
Vous avez dit "Taxi Driver" ?
Difficile en effet de ne pas faire le lien entre le personnage du film de Scorsese et Richeau, incapable de comprendre le monde civil dans lequel il revient, et incompris par ce monde froid qui l'accueille en lui proposant des métiers médiocres, un univers triste où l'on troque ses idéaux contre le confort et la sécurité.
Richeau le violent, l'impulsif, le bagarreur, devient un soldat apatride, un terroriste sans cause, une boule de violence qui ne demande qu'à disparaître dans une tornade d'action, dans un coup d'éclat jeté à la face d'une société qui l'ignore et qu'il méprise. Cremer est excellent dans ce rôle machiste, roulant les mécaniques une kalachnikov à l'épaule, sur les plages de l'Océan, toujours à la lisière de la folie quelque part.
Après... tout n'est pas excellent dans "Objectif 500 millions", film à l'évidence assez fauché. Le personnage féminin joué par Marisa Mell, la cultissime vedette féminine de "Danger Diabolik" et de de moulte giallo, krimis et autres sexy comedies de l'âge d'or du Bis, tient un rôle franchement décoratif et pas très intéressant, à base de déhanchement et de fringues pop. La partie polar/action n'est pas toujours très palpitante, malgré une scène de braquage aérien claustrophobe singulière.
Bref, "Objectif 500 millions" est une rareté imparfaite, qui mérite la redécouverte, au moins pour les amateurs du cinéma de Schoendoerffer dont je suis, ce chantre des aventuriers déchus...
Vu sur ciné+ replay où il passe en ce moment, copie SD 1.66 16/9 passable noir et blanc, mais quand même acceptable pour un titre rare. Il était sorti en dvd une seule fois à ma connaissance, dans un coffret réunissant 6 films de Pierre Schoendoerffer, sorti en 2008.
Actuellement dans le catalogue studiocanal.