
Persuadé d'avoir déjà aperçu un topic dédié à RAMBO, l'original, le meilleur, l'inégalable, me voilà lancé dans de longues diatribes sur ses 2, et même ses 3 suites, en laissant de côté la pierre angulaire de la saga... Voilà une honte que je vais m'empresser de laver (pour ma décharge, il existe déjà un topic sur les scènes coupées de RAMBO, où le film en lui-même est à peine évoqué et concentré sur les spécifications du dernier Z1 en date).
SPOILERS
A l'époque où il tourne dans Rambo (de son vrai titre First Blood), Stallone est surtout connu pour les Rocky, déjà au nombre de trois. C'est donc au moment où la série des Rocky commence à amorcer un virage "bigger and louder" avec l'arrivée de Mister T. que Rambo initie la seconde saga pour laquelle l'acteur restera le plus connu, sur un ton cependant plus humble que la nouvelle orientation des Rocky.
First Blood est tiré d'un (excellent) livre de David Morrell (édité en France chez J'ai Lu), inspiré de l'histoire vraie d'un vétéran du Vietnam ayant causé un certain émoi dans un bled des USA après avoir totalement pété les plombs et s'être réfugié dans une forêt. Le thème central du livre repose sur le choc générationnel qui oppose, hier comme aujourd'hui, les jeunes à leurs parents : un vétéran du Vietnam et un vétéran de la guerre de Corée, deux soldats de générations différentes, tiennent ici le haut de l'affiche. Pour extrapoler sur un plan politique, on peut également y voir l'opposition républicains/démocrates avec, dans le rôle du sale hippie démocrate, notre fameux Rambo et sa tignasse pouilleuse. Le tout, il va sans dire, accompagné d'un discours sur le trauma vécu par les vétérans du "Nam" et souvent ignoré du grand public.
Dans le livre comme dans le film, l'histoire débute par l'arrivée d'un type louche dans une bourgade paumée des USA. Un air pas très net, une veste de treillis, des rangers boueuses... Le type fait négligé, or dans le coin on n'aime pas trop les types négligés. John Rambo, car tel est son nom, s'arrête dans une sorte de village installé près d'un lac, le coin le plus tranquille du monde. Là, Rambo interroge une femme qui, inquiétée par son allure, demande immédiatement à sa fille de se réfugier chez elle. Apparemment gêné, timide, mal à l'aise lorsqu'il s'agit de communiquer, avec son allure de grand benêt, l'étranger nous apprend qu'il est venu trouver un vieil ami, un frère d'arme. La femme lui apprend sans ménagement que son camarade est mort d'une maladie chopée au Vietnam, provoqué par l'Agent Orange balancé sur les forêts vietnamiennes. Rambo paraît un instant choqué, désemparé, puis il s'en va. Ainsi, même au pays, on n'est pas à l'abri de ses vieux démons : le Nam vous habite, vous pourchasse et finit par avoir votre peau, où que vous alliez. Rambo n'a pas l'air d'être le genre d'homme à connaître beaucoup d'amis, et il y a fort à parier que celui-là était le dernier. Et voilà notre vagabond qui s'en va, sans chercher d'ennuis, sans même savoir où aller, sûrement décidé à quitter cette bourgade maudite. Seulement, un événement va le retenir dans le coin.
Dans cette bourgade comme dans toutes, un shérif old school, ancien de la guerre de Corée, veille sur ses ouailles et apprécie peu qu'un étranger aux airs de clochard vienne marcher sur ses plate-bandes. Comme il le dit lui-même : "Ici on s'emmerde, et c'est parfait comme ça". Relativement diplomate, il prend Rambo en stop et discute avec lui, la joue cool, mais en lui faisant comprendre que sa présence n'est pas souhaitée. Pour finir, il le dépose à l'entrée de la ville : allez salut mon pote, et bon vent. Le livre, à la différence du film, nous apprend que Rambo a déjà vécu pareille scène des dizaines de fois, ce qui explique sa réaction à venir ; car, bien que ce shérif soit plus sympathique que la normale, le vétéran en a plus que marre. Las d'être considéré comme une sous merde, d'être rejeté partout. A ce moment-là, le spectateur ignore encore tout de son passé, mais il se doute bien que quelque chose chez cet homme présage un grand danger. Pour l'heure, par pur esprit de contradiction, Rambo revient vers la ville en bravant ainsi l'avertissement du shérif. Forcément, cette affront agace le policier, qui lui sort le grand jeu (dans le livre, Rambo est raccompagné deux ou trois fois à l'entrée de la ville avant qu'il ne s'énerve réellement). Difficile de blâmer l'un ou l'autre, car les deux sont trop fiers pour lâcher l'affaire, et le combat de coqs entre deux fortes têtes entame alors un crescendo dont le point de non retour surviendra au moment où sera versé le premier sang, le first blood du titre.
Rambo est arrêté, passé au karcher, humilié (dans le livre, il est même tondu), et foutu en taule. Il se laisse faire, mais il est de plus en plus certain que, sous cette apparence de beatnik se cache un monstre endormi. Lors de son arrestation, le shérif lui confisque un couteau d'une taille phénoménale ("pour chasser", d'après lui...). Rambo reste inerte, jusqu'au moment où surgit la lame d'un rasoir. Comme expliqué dans le livre, il est déjà terrifié par l'étroitesse de la cellule et l'humidité au sol qui lui rappellent le trou où il a été emprisonné jadis dans un camp vietnamien. Il supplie presque le shérif de le libérer, en mettant une fois de plus l'humanité du policier à l'épreuve, mais en vain ("Et voilà, c'est toujours quand il est trop tard, quand ils sont allés trop loin qu'ils commencent à regretter..."). L'homme est fier, et la loi est la loi. L'heure du premier sang approche. Face au scintillement de cette lame de rasoir destinée à le raser, des flash-backs terrifiants surgissent : on voit Rambo torse nu, crucifié, tailladé par son propre couteau manipulé par des tortionnaires asiatiques... Soudainement, tout s'enchaîne et avant même qu'ils n'aient réagi, Rambo neutralise tous les hommes du commissariat, s'enfuit sur une moto et rejoint les bois (dans le livre, il s'empare du rasoir et ouvre verticalement le bide d'un jeune stagiaire avant de disparaître, nu, le crâne à moitié rasé !). Une fois dans le bois, nous découvrons un Rambo parfaitement préparé à la survie en milieu naturel. Pendant que les autorités réagissent dans une certaine panique, lui s'organise : il s'habille, chasse, s'adapte à l'environnement... Chaque camp se prépare à l'affrontement ; les rednecks du coin se croient encore en position de force, bien mal leur en prend. Survient enfin le premier face à face, digne d'un film d'horreur.
Nous sommes maintenant certains que Rambo n'est pas n'importe quel soldat : les rednecks, totalement démunis face à ce genre de situation, tombent un à un dans ses embuscades. L'orage éclate, la pluie tombe ; la guerre que Rambo leur mène est autant physique que psychologique. Il est partout et nulle part, insaisissable, fantomatique. Quand on envoie des chiens à ses trousses, c'est pour finalement entende un « kaï ! » précédant leur mort. Rambo surgit pour coller sa lame sur la gorge du shérif, et lui asséner un message : "Je pourrais te tuer, eux aussi j'aurais pu tous les tuer. Dans la ville c'est toi qui fait la loi mais ici c'est moi, alors fait pas chier. Fait pas chier ou je vais te faire une putain de guerre comme t'as encore jamais vu. Laisse tomber, fait pas chier..." ; puis il disparaît comme il est apparu. Le shérif, d'ordinaire si prompt à rouler des mécaniques quand il mène le jeu, semble s'être laissé aller. Mais toujours aussi fier, plutôt que de laisser tomber comme lui suggère le guerrier, il persévère (dans le livre, le fait que sa femme l'ait quitté joue un grand rôle dans son obstination). C'est ainsi que sont déployés bêtement les plus grands moyens locaux plutôt que d'attendre la Garde Nationale : un hélicoptère est lancé après lui ; acculé, il doit tuer le pilote qui souhaite clairement l'abattre alors même qu'il souhaitait se rendre. Le premier sang est versé.
Il est désormais temps d'abattre les cartes, à travers un message radio de la police : "Tenez-vous bien", nous prévient-on. Et ensuite d'énumérer la liste des faits de guerre de Rambo au Vietnam, ainsi que l'étendue de ses décorations (dont la Purple Heart, la plus haute distinction militaire). Le plus jeune des rednecks semble ravi : "J'étais sûr que ce type était pas comme les autres !", avant de se faire rabattre le caquet par son chef, le shérif. Un de ses hommes est mort, il doit payer. C'est le moment pour un nouvel intervenant de faire son apparition. Sous une tente, le shérif s'interroge... "Mais qui lui a appris tout ça ?" ; "C'est moi !", lui répond un militaire hautement galonné, presque fier de lui. Et voici Trautman, le père spirituel, le mentor, qu'il est inutile de présenter. Notre colonel, venu chercher son poulain devenu fou, croit bon d'ajouter "Ce qui m'étonne le plus, c'est qu'il vous ait laissé en vie... En mission, ce genre d'erreur peut être fatal". Sympathique !
Je passerai sur la découverte de la grotte, ainsi que sur le symbolisme tiré du Héros aux Mille Visages dont s'est inspiré David Morrel pour traduire le combat intérieur de Rambo, ou sur la suite des flash-backs terrifiants où Rambo est emprisonné dans un trou à merde (encore une fois le livre, où la terrible évasion du camp y est racontée : Rambo court de jour comme de nuit dans la jungle, dort dans les arbres, bouffe n'importe quoi...), afin d'arriver directement à la fin : comme promis, Rambo mène une guerre au shérif et à la ville toute entière, après avoir être sorti du bois comme le loup de l'expression consacrée. Personne n'écoute Trautman, mais il sait que le seul moyen d'arrêter son poulain est de le laisser partir, de calmer le jeu afin de pouvoir l'arrêter plus tard, une fois calmé. Évidemment, cet entêtement collectif mène à la catastrophe car le shérif, qui ne comprend rien à rien, décide de se faire Rambo à lui seul. Bien sûr, il échoue. Rambo est prêt à le tuer, quand surgit Trautman : cette fois, c'en est trop. Un dialogue d'anthologie est alors échangé entre le maître et l'élève :
- Cette mission est terminée, tu m'entends John ? TERMINÉE !
- Rien n'est terminé ! Tout continue, à cause de vous ! C'est vous qui êtes venu me chercher ! Au Vietnam je pilotais des hélicoptères, on me confiait un million de dollars de matériel, ici je peux même pas être gardien de parking !
Rambo balance sa mitraillette, s'écroule sur le cul, et quelque chose d'impensable se produit alors : il subit un écroulement psychologique et commence à raconter l'histoire tragique, de manière décousue, d'un ami qui a perdu ses jambes au Vietnam, sous ses yeux, après l'explosion d'une boîte de cirage piégée. Trautman semble au bord des larmes (Stallone se livre ici à une prestation géniale, qui peut facilement passer pour ridicule sous le prisme du cynisme), et Rambo se met à pleurer comme un gamin... "Des fois je me réveille, en pleine nuit, je sais plus où je suis, comme dans le brouillard...". Nervous breakdown en direct live, on est bien loin du guerrier dont nous venons d'admirer les exploits. Nous assistons au spectacle d'un homme détruit de l'inétérieur, au bout du rouleau. A l'instant propice, Trautman accomplit un geste d'une intimité inimaginable en regard de sa fonction en serrant la tête de Rambo contre lui, et sans lui répondre faute de mots adéquats.
Dernière scène : Rambo sort, menottes au poings, le manteau de Trautman sur les épaules, comme si l'Armée le prenait de nouveau sous son aile. Il jette un œil sur le shérif brancardé, sans aucune trace de haine ou de rancoeur dans le regard. La machine de guerre s'est éteinte. Puis on l'emmène. La caméra s'attarde sur son visage, les premières notes de la chanson "It's a long road" débutent, Rambo tourne la tête et semble regarder quelque chose ou quelqu'un. Une pause fixe son visage sur l'écran.
