
Herzog constitue en très grande part son film d'extraits de vidéos filmées par Timothy Treadwell, lequel se plaçait souvent devant la caméra, à proximité des animaux. Se prenant pour un croisé de la cause animale, il était convaincu de les protéger contre des "dangers" qu'on nous explique en fait être imaginaires. Il dit "étudier", "travailler" sur les ours, mais on ne saura jamais trop en quoi consiste exactement ce travail.
Herzog se montre fasciné par ce personnage, qu'il approche à la fois comme un metteur en scène et un acteur extrêmiste, mettant toute sa vie et sa personne en jeu dans son oeuvre. La folie devient une condition nécessaire à la création artistique. Timothy Treadwell ne filmait pas la nature "objectivement" ; en filmant la nature, il filmait le monde tel qu'il le voyait. Et donc, sans en être conscient, il se fimait lui-même. Voilà qui nous ramène au "paysage psychologique" cher au romantisme allemand et au cinéma de Herzog !
Herzog ne nous fait pas de cadeaux quand il s'agit d'aborder la mort atroce de Treadwell et de sa compagne. On saura tout ce qu'il est possible de savoir, jusque dans des détails particulièrement cauchemardesque.
Il faut savoir qu'avant d'être attaqué, Timothy Treadwell a juste eu le temps de lancer sa caméra, sans en retirer l'obturateur. 3 minutes de son de l'attaque ont donc été enregistrés. Une amie de Treadwell a hérité de la cassette et n'a jamais voulu l'écouter elle-même. Elle refuse qu'elle soit diffusée. Néanmoins, elle permet à Herzog d'écouter l'enregistrement au casque. Nous voyons la tête du réalisateur au trois quart de dos, face à cette femme qui tient le caméscope et lance la bande. Herzog commence à décrire ce qu'il entend, puis se tait. On voit ses mains trembler sur le casque, on ne voit que le coin de son oeil, mais on devine que l'horreur l'envahit. Il demande que la cassette soit arrêtée. Puis, il pose le casque et demande sollennellement à cette femme de ne jamais écouter la cassette, et même de la détruire totalement pour qu'elle n'existe plus dans sa vie. Un moment de cinéma-vérité d'une intensité absolument foudroyante, traumatisante !
Un médecin légiste reviendra sur ce qui a pu être reconstitrué comme fil des évènements. C'est assez horrible. Treadwell pensait faire le bien des animaux. Mais quelque part, un indien travaillant dans un musée va donner la plus sage des raisons pour laquelle Treadwell se trompait : en habituant les ours à une présence humaine bienveillante, il leur enseigne à ne pas se méfier des humains qui pourraient être dangereux. Quant au personnage lui-même, à ce personnage fou de la nature, mysanthrope et irresponsable, voire suicidaire, difficile de ne pas sentir que Herzog (qui faillit lui aussi périr en tournant des documents de façon très imprundente, sur une éruption volcanique notamment) se sent des atomes crochus avec lui...
En tout cas, un film intense très fort, qui marque. Il est notoire que Werner Herzog fait de nombreux documentaires, mais très peu d'entre eux arrivent en France. Un film très impressionnant, dommage qu'il soit mal distribué...