(Robert Fischer, "Mörder - Meurtrier - Murderer: The Multi-Language Versions of Fritz Lang's M" - the booklet in "Masters of Cinema" Blu Ray, United Kingdom)
Si je puis me permettre d'ajouter un commentaire, c'est en grande partie à cause de l'incompétence des responsables de Ciné Classics que se produisit ce "malentendu". Ils avaient eu le même problème avec la programmation de la version alternative allemande de "Marianne de ma jeunesse", de Duvivier, dont le titre est juste "Marianne", avec une distribution en partie différente, Horst Buchholz et Udo Vioff remplaçant Pierre Vaneck et Gil Vidal. Cette version, totalement inédite en France, fut en effet annoncée sous le titre "Marianne de ma jeunesse", titre qu'elle n'a, bien évidemment, jamais porté. Les magazines de télé l'identifièrent donc comme la version française, et bien des téléspecteurs "loupèrent" le film à cause de cette bourde. Le même incident se reproduisit d'ailleurs récemment, sur France 3, dans le Ciné-Club de Brion...
En ce qui concerne le film de Fritz Lang, sa première sortie en Allemagne, en 1931, ne fut pas un succès et dès l'année suivante, il fut redistribué dans une version raccourcie, renouvelant la mauvaise expérience qu'avait déjà connu le réalisateur quelques années auparavant avec "Metropolis".
C'est alors que, presque simultanément, il fut décidé, en Grande-Bretagne et en France, de produire des versions "parallèles" du film. Il ne s'agissait ni de simples doublages, ni de versions totalement différentes (comme les deux "Dracula" de la Universal). Et les deux versions différèrent également entre elles sur un point essentiel, on va le voir.
Tout d'abord, la version anglaise, qui vient de refaire surface après plus de 70 ans d'oubli, et qui est incluse dans le Blu Ray britannique (et aussi, apparemment, dans le Blu Ray sorti par Criterion aux USA).
Si certaines scènes furent gardées telles quelles, d'autres, en particulier le jugement final du meurtrier par les membres de la pègre, furent refaites à Berlin en 1932, avec Peter Lorre, qui joua donc ces nouvelles prises en anglais - sa première prestation en anglais, en fait, bien avant la première version du film d'Hitchcock, "L'homme qui en savait trop". Comme cette scène finale comportait de nombreux plans rapprochés de l'acteur, on jugea en effet nécessaire de les retourner en anglais, le doublage étant jugé trop apparent dans ces plans. Bien entendu, Lorre se doubla aussi lui-même pour ses autres scènes qui ne nécessitaient pas de nouvelles prises. Certaines séquences sans vedettes furent retournées avec des acteurs différents, également.
Ce n'est pas Fritz Lang qui tourna ces scènes alternatives, mais Charles Barnett. Lang, par contre, dirigea bien, plus tard, les deux versions de son "Testament du Dr. Mabuse", avec l'assistance de René Sti pour la version en français...
Pour différentes raisons, cette version anglaise est inférieure à l'originale allemande. D'une part, elle est basée sur la version de ressortie (1932) du film, donc plus courte que le chef-d'oeuvre de Lang qui, depuis, a été presqu'intégralement restauré. Et la scène finale, celle du jugement, est moins efficace, Barnett n'ayant évidemment pas la maîtrise de Lang.
Cela dit, la vision de cette version demeure une expérience tout à fait fascinante. En partie doublée, en partie refaite en anglais, contenant des scènes avec des acteurs différents tournant en anglais pour certains petits rôles, c'est une réelle "version alternative", comme on en tourna des dizaines au début du parlant.
Malheureusement, la version française (également basée sur la ressortie de 1932), dirigée par Roger Goupillières, présente un problème majeur. En effet, tout comme pour la version anglaise, l'équipe se rendit à Berlin, où Lorre rejoua encore une fois la scène du jugement, cette fois en français. Il était tout à fait capable de parler notre langue, puisque, la même année, il devait apparaître dans "Stupéfiants", la version alternative française de "Die weisse Dämon", et un peu plus tard dans le film (totalement français) de Pabst, "Du haut en bas", avec Jean Gabin. Mais, pour une raison inconnue (peut-être le doublage de certaines scènes ne nécessitant pas de nouvelles prises avait-il commencé à Paris, et on ne voulait pas les refaire...), on se contenta de filmer Peter Lorre parlant français... tout en le faisant doubler plus tard par un acteur obscur, Jean Rozenberg!
Cette version française est donc tout aussi fascinante à voir que la version britannique - mais avec l'énorme défaut qu'on doit se contenter de VOIR la prestation en français de Peter Lorre... sans pouvoir l'entendre. C'est donc une curieuse mixture, avec des scènes doublées, des scènes tournées en français mais redoublées dans la même langue, et des scènes secondaires avec des acteurs différents jouant directement en français!
En dépit de ce handicap, on ne peut que regretter l'absence de cette version française dans les deux Blu Ray, le britannique et l'américain. Peut-être un futur distributeur français sera-t-il assez avisé pour l'inclure dans un futur coffret, regroupant donc les trois versions?
C'est à Alain Petit, qui eut la bonne idée d'enregistrer cette version française lors de son passage sur Ciné Classics, que je dois d'avoir pu réaliser ces quelques captures d'écran. Dans l'avant-dernière dernière image, l'acteur qui joue l'avocat de Lorre n'apparaît que dans cette version...
