Datant de 1987, ce beau poème de Bela Tarr parvient seulement maintenant à se frayer un chemin jusque dans les salles françaises. Et le constat est immédiat : on est bien devant une oeuvre exceptionnelle à plus d'un titre. Tout d'abord parce que le cinéaste est d'une exigence formelle incroyable : chaque plan est travaillé jusqu'à l'obsession. Le cinéaste multiplie les longs plans séquences avec travellings latéraux afin de mieux scruter le moindre élément du décor. Mais son dispositif formel très élaboré est là pour servir une thématique très intéressante. Ainsi, le cinéaste multiplie les cadres à l'intérieur même du cadre cinématographique (il filme des fenêtres, des portes et des murs), il y emprisonne même ses personnages, faisant d'eux des ombres fantomatiques. Il les filme souvent au travers de miroirs et de glaces, simples reflets d'une vie désespérante car ne menant fatalement qu'à une seule issue : la tombe. Le cinéaste parvient à créer un monde à part. Certes, on entend pendant tout le film des bruits industriels qui montrent qu'une vie active existe, mais elle se situe hors champ. Les personnages du film ne font strictement rien, à part se divertir (au sens pascalien du terme, c'est à dire l'idée que l'homme cherche à oublier sa condition de simple poussière coincée entre deux infinis par le biais du jeu, de l'amour et pourquoi pas ici de l'alcool). On trouve donc peu d'espoir dans ce magnifique poème où de nombreuses scènes nous emportent très loin, comme en apesanteur. C'est un film en état de grâce réalisé par un des meilleurs cinéastes contemporains. Amateurs de cinéma contemplatif à la Tarkovski, laissez-vous tenter et vous verrez que cette oeuvre vous comblera.
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Damnation - Bela Tarr (1987)
Modérateurs : Karen, savoy1, DeVilDead Team