Après vérification, il n'existe pas vraiment de thread consacré au film...
J'adore tout dans ce film, un des rares à m'hypnotiser du début à la fin.
Blade Runner est un film très riche qui fait appel à beaucoup de notions (mythologie, philosophie, sociologie, poésie, romantisme) et sa facture artistique touche au sublime. J'ai pris à nouveau plaisir en le re-découvrant, et comme j'aime beaucoup parler des films que j'admire et me fascine, j'en fais un topic-fleuve d'analyse comme à mon habitude.
LOS ANGELES, 2019
Les REPLIQUANTS NEXUS 6 sont des êtres virtuellement identiques à l'homme, d'une force et d'une agilité supérieures à celle des généticiens qui les ont créés, et d'une intelligence au moins égale. Les REPLIQUANTS sont utilisés comme main-d'œuvre pour les travaux dangereux lors de l'exploration et la colonisation d'autres planètes. Plusieurs d'entre eux ont tué l'équipage d'une navette spatiale et sont revenus sur Terre. Tout ce qu'ils veulent c'est vivre plus longtemps: ils ont été conçus en étant limité à quatre ans d'espérance de vie. L'ancien détective Rick Deckard (Harrison Ford)
qui faisait partie des brigades de police spéciale – LES UNITÉS BLADE RUNNER, LES FAUCHEURS – reprend du service. Les BLADE RUNNER ont reçu l'ordre d'abattre, dès identification, tout REPLIQUANT ayant pénétré sur Terre. En se rendant chez Eldon Tyrell de la TYRELL CORPORATION, il découvre une nouvelle sorte de REPLIQUANT avec Rachel (Sean Young)
qui est dotée d'une mémoire et croit être humaine...

Réalisé par Ridley Scott. 1982.
Director's Cut: 1992.
Avec Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, Darryl Hannah.
Scénario de Hampton Fancher et David Peoples.
Après plus de 20 ans d'existence,
Blade Runner a inspiré bon nombre de films de SF, et encore aujourd'hui il est présenté comme LA référence en matière d'imagerie baroque et gothique, précurseur du cyberpunk. Véritable chef-d'œuvre,
Blade Runner est un film qui nécessite plusieurs visionnements pour être apprécié à sa juste valeur (et un visionnement du film sur grand écran est primordial à l'expérience). Le film vaut aussi pour les étonnants effets spéciaux (le réalisateur s'est très bien entouré avec le décorateur Lawrence G.Paull, le spécialiste des effets spéciaux Douglas Trumbull et le designer industriel Syd Mead créateur de la trentaine de véhicules futuristes différents qui créent l'ambiance et le concept complet du film). Technologiquement, il a été réalisé à un moment clef dans l'évolution des effets spéciaux au cinéma (1982 est aussi la date de la naissance des images numériques). Les effets de
Blade Runner ont été réalisés traditionnellement et représentent l'apogée des techniques manuelles qui ont par la suite été remplacées par des méthodes numériques. Ce qui le rend très crédible est dû à l'importance accordée aux décors et aux détails. Quant à la mise en scène, elle est éblouissante, jouant d'une manière magistrale avec les représentations visuelles. Peu de soleil visible dans la mégalopole survolée d'un épais nuage de pollution, déversant incessemment des trombes d'eau. L'architecture, inspirée par certains aspects du
Metropolis de Fritz Lang, n'en donne pas moins une impression de nostalgie (édifices du début du siècle précédent).
Le film est une adaptation plutôt libre d'un roman de Philip K. Dick,
Do Androids Dream of Electric Sheep? sorti en France sous les titres
Robot Blues, puis
Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Électriques? et enfin
Blade Runner. Le film reprend l'idée de base du roman, un "Blade Runner" est engagé pour traquer et éliminer des androïdes (appelés dans le film des "Répliquants"), mais il n'entretient effectivement qu'un rapport assez mince avec l'histoire du roman. Le personnage de Rachel, par exemple, n'a plus au cinéma son ambiguité originelle, Deckard dans le film n'est pas marié et ne s'occupe pas d'un mouton électrique, et la réalité virtuelle du "prophète" Mercer n'est pas non plus abordée. Ridley Scott a cependant conservé l'atmosphère mélancolique et a obtenu un film qui, à défaut d'être fidèle, est cohérent. On trouve dans
Blade Runner les réflexions bien communes portant sur le fondement-même de l'être humain: "Que sommes-nous? Quel avenir nous attend?" Pour celle-ci, la vision du futur dans le film est très noire. Le monde est une vaste déchetterie que fuit la population en partant pour les colonies de l'espace (celles-ci ne nous sont jamais montrées, leur existence n'étant attestée qu'à travers des panneaux publicitaires survolant la ville), et (comme le roman l'expliquait) il y a bien peu d'animaux véritables sur terre. La totalité de ceux que l'on voit dans le film sont artificiels comme les réplicants. La rareté de véritables animaux est mentionnée lorsque Deckard demande à Zora si son serpent est réel et celle-ci lui répond: "
Of course its not real. Do you think I'd be working in a place like this if I could afford a real snake? (Bien sûr que non, c'est pas un vrai. Je bosserais dans un club comme ça si je pouvais me payer un vrai serpent?)" ce qui laisse une vision plutôt angoissante de l'avenir.
J'ai d'ailleurs relevé une caractéristique intéressante dans un article: l'assimilation d'animaux à chacun des personnages. Léon, le premier Répliquant, peut se comparer à une tortue (esprit lent, toujours à la traîne, ne cherchant jamais à s'exposer, perpétuellement en retrait derrière son chef). Zhora s'exhibe sur la scène du bar de Taffy Lewis avec un serpent. Roy Batty apparaît comme un prédateur, tout comme le montre la scène où il hurle à la mort tel un coyote dans la séquence finale. Eldon Tyrell, tout comme son hibou artificiel, reste perché dans sa tour, contemplant la ville. Et enfin, on peut citer le cas du personnage principal, Deckard, dont la vision chimérique de sa banale vie d'être humain trouve son écho dans celle de la Licorne, dans la
Director's Cut. Car oui, deux versions du film ont été portées sur grand écran, celle de 1982 et le
Director's Cut de 1992. À noter aussi qu'une version différente du film a été retrouvée et accidentellement présentée au public lors de quelques rétrospectives cinématographiques aux États-Unis. Cette version, le
Workprint, n'est toujours pas disponible... Dans la version de 82, la licorne en papier à la fin n'a aucun sens, et ce sera dans la version
Director's Cut que le voile se lèvera enfin sur cette énigme, lorsque Ridley Scott décidera de rajouter 15 importantes secondes en plein milieu du film.

On y voit une sorte de rêve que Deckard fait éveillé devant son piano: celui d'une licorne galopant dans une forêt. Additionné à la scène de l'origami de la licorne laissée par ce flic étrange dénommé Gaff qui suit Deckard partout et le connaît mieux que personne, peu de doutes subsistaient quant au fait que Deckard est un répliquant (et ça a été confirmé par Ridley Scott lui-même dans un interview en 2001). Encore une fois, on peut alors noter toute l'ironie du scénario: les humains sont allés jusqu'à utiliser des Répliquants pour les transformer en tueurs de Répliquants! Le rêve de la Licorne est un souvenir implanté, un souvenir fantastique renvoyant alors à l'histoire que raconte Roy Batty au moment de mourir: "
I've seen things you little people wouldn't believe... Attack ships on fire off the shoulder of Orion bright as magnesium... I rode on the back decks of a blinker and watched c-beams glitter in the dark near the Tanhauser Gate. All those moments... they'll be gone... like tears in rain. (J'ai vu tant de choses que vous humains ne pourriez pas croire... De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion... J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons-C briller dans l'ombre de la porte de Tanhauser. Tous ces moments... se perdront dans l'oubli... comme des larmes dans la pluie...)" Cette scène finale est par ailleurs grandiose. Outre la scène de la Licorne, dans la version
Director's Cut la voix off de Ford qui racontait les pensées de son personnage (textes écrits par un autre scénariste) a été supprimée, la bande son remixée numériquement, le "happy end" sur des images en plein jour rassurantes que Ridley Scott fut contraint d'ajouter au film (empruntant d'ailleurs des rushes de
Shining de Kubrick, 1980) a été retirée au profit de la fin originale, et les moments les plus violents (lorsque Pris attaque Deckard, la mort de Tyrell et lorsque Batty se transperce la main à l'aide d'un clou) ont été adoucis.
L'univers noir de
Blade Runner a été très influencée par
Metropolis, de Fritz Lang (1927), principalement pour l'idée d'une mégalopole moderne et effrayante.
Blade Runner comme
Metropolis sont des films visionnaires (de nombreux sujets abordés dans les deux films sont des thèmes préoccupants à l'heure actuelle: dérive génétique, surpopulation, surcharge de travail dans le monde ouvrier, détérioration de l'habitat, pollution, etc). Le chef d'œuvre de l'expressionnisme allemand nous montrait des ouvriers surexploités, incapables de laisser leur machines qui finissent par les "avaler" littéralement. Celui de Scott montre plutôt un futur angoissant par son manque d'humanité, la génétique devenue quotidienne, remplaçant les animaux réels pour des animaux articiels, même les humains finissent par se remplacer par des êtres génétiques (le héros étant déjà un Réplicant). L'atmosphère de
Blade Runner est incroyablement riche, accentué par la formidable musique d'un Vangelis inspiré. Le compositeur d'origine grecque venait de recevoir l'Oscar de la meilleure musique pour le film
Chariots of Fire (Hudson, 1981) lorsqu'il entreprit d'écrire la musique de
Blade Runner. Il utilise principalement les synthétiseurs dans ses bandes musicales, et dans le film de Ridley Scott, sa musique prend une place très importante (surtout dans la
Director's Cut où la narration d'Harrison Ford est absente). Dès l'ouverture du film, la musique magnifie la cité du Los Angeles de 2019 en mariant des éléments d'ambiance et de bruitage à une musique électronique. Vangelis, comme Scott, croise les genres en mêlant sa musique synthétique avec un langoureux solo de saxophone ("Love Theme"), signature musicale du film noir des années 40. La BO de
Blade Runner ne fut pas publié avant 1994, 12 ans après la sortie originale du film mais une version pirate circulait déjà depuis bien longtemps.
Le parcours parallèle de Rachel et Deckard est à la fois triste, douloureusement romantique et magnifiquement filmé. Leur relation fait totalement partie du questionnement identitaire proposé par le film. Et le final brusque et ouvert de la version de 1992 a une puissance que n'avait pas la version initiale. Car le message de Roy Batty trouve un aboutissement dans la réalité avec le pari sur l'avenir que vont tenter Deckard et Rachel.
Blade Runner n'est pas un film de science-fiction traditionnel, c'est un drame qui parle de la valeur de vie et de l'importance d'en faire un bon usage. Le film nous ouvre les yeux et nous fait prendre conscient que nous devrions être reconnaissant d'être vivants. Et un Répliquant qui rêve, et qui éprouve des sentiments et possède des souvenirs est-il encore réellement un être artificiel? Lors du final (lorsque Roy Batty se transforme en chasseur et Deckard devient alors la proie), le jeu de chasse met en avant un autre aspect (humain) de la personnalité des Répliquants: la survie. Leur intention en arrivant sur Terre n'était autre que de trouver une solution à un problème de taille: la mort. En conséquence, quelle différence entre un être humain et un Répliquant?
Le film est un jeu de piste offert au spectateur. Nous suivons la progression de l'enquête en même temps que Deckard, sans avoir plus d'informations que lui. La mise en scène lorgne davantage sur le film noir dont elle reprend l'intégralité des règles: cadrages, jeux de lumière, photographie, construction... contrastant étonnamment avec son sujet de science-fiction. Deckard est un personnage complexe, d'apparence froide et désabusée, sans illusion sur la vie, mais qui déteste son boulot. Il ne fume pas mais il boit beaucoup d'alcool dans le film et refuse initialement sa mission. Dans les films noirs, le détective rencontre généralement une femme fatale qui, au cours du film, se révèle être autrement que présentée au départ. Rachel est en tout point une femme fatale, très belle, très froide et incertaine de son identité. Les costumes des deux personnages principaux renvoient aussi aux années 40 (le manteau de Deckard par exemple, comme ceux de certaines personnes du Taffy's Bar et certains décors du film sont issus de cette période). De plus, la (superbe) lumière coupée par une série de stores horizontaux est un standard du film noir.
Une suite a été écrite,
Blade Runner, Tome 2 par K.-W. Jeter. Le livre proposé est plus le prolongement du film qu'une véritable suite au roman de Philip K.Dick. Deckard en est toujours le héros, vivant avec la femme qu'il aime dans une paisible quiétude, jusqu'au jour où ceux pour qui il travaillait se mettent à le rechercher. Une femme est particulièrement à ses trousses, elle ressemble comme deux gouttes d'eau à Rachel... Le film de Ridley Scott n'avait pas marché à sa sortie, 1982 reste l'année d'
E.T. de Spielberg. Il a trouvé son public via le marché de la vidéo et un bouche à oreille extraordinaire. Aujourd'hui on attend encore une bonne édition DVD du film, qui tarde toujours je crois à cause de problèmes de droits. L'édition Zone 2 actuelle (par ailleurs disparue depuis longtemps des catalogues Warner) ne comporte que le chapitrage. On peut même constater en regardant le film sur ordinateur que l'image n'atteint pas les bords gauches et droits. Et on attend depuis bientôt deux ans que l'Édition Spéciale 3 DVD comprenant aussi un nouveau montage du film soit enfin annoncée. Foutage de gueule?
En bref,
Blade Runner est une merveille dont je pourrais parler pendant des heures tant le film regorge d'une certaine richesse. Chaque vision du film révèle une nouvelle signification cachée aux images et à l'histoire.
666/6: un des plus grands films de tous les temps
Quelques sites:
The Home of Blade Runner
Reality or Simulacra?
Los Angeles, 2019
Blade Zone