Si "Il Cartaio" a l'esthétique de l'inspecteur Derrick, alors j'ai sans doute du rater les meilleurs épisodes, et maintenant j'attends avec impatience la sortie d'une intégrale en DVD, même en import allemand à 500 euros

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Plus sérieusement je trouve simplement dommage que le dernier Argento s'en soit pris plein la gueule car il constitue pour moi sa meilleure réflexion sur notre rapport à l'image, au regard et à la violence depuis "Opéra" et son meilleur film depuis l'excellent "syndrome de Stendhal"...
Qu'attend-t-on d'Argento ? Les plus mauvaises langues répondront "plus rien". Pour ma part je ne m'attends plus à de l'excès baroque, des couleurs rougeoyantes et des crimes chorégraphiés. Argento a changé, il a vieilli, sa conception du monde comme celle du cinéma a évolué, mais son regard et sa thématique subsistent. Bref, Argento plutôt que de se répéter, de se recopier éternellement et de nous réchauffer le même plat (ou bien de faire éternellement des variations sur les mêmes thèmes comme de Palma) a depuis "Le syndrome de Stendhal" opéré un tournant esthétique. D'ailleurs esthétiquement parlant, Il Cartaio est en fait très proche du Syndrome. La photo loin d'être baclée y est magnifiquement froide et trouve son apogée dans des moments de clair obscurs superbement éclairés. La scène de S.Rocca seule dans l'appartement par exemple est magnifiquement éclairée et photographiée sans pour autant être une redite dans l'oeuvre argentesque. Je trouve la photo diurne nettement moins terne que celle de Non Ho Sonno. Même si il est clair qu'Argento se tourne désormais vers la réalité, vers le monde contemporain il n'oublie pas pour autant de nous faire quelques trouées fantasmatiques ou oniriques de passages brusques de l'autre côté du miroir. Ainsi dans Il Cartaio, deux scènes d'angoisse magistrales à la faveur de la nuit viennent brusquement nous faire passer de la réalité au fantastique.
Certes les parties de Poker sont limitées esthétiquement et répétitives, mais cette aseptisation de l'image qui banalise la violence quand elle ne la couvre pas de ridicule, n'est ce pas justement l'un des thèmes du film ? Finie la mise en scène du crime avec pour arrière fond un air de Verdi. Les temps ont changé et c'est un jingle bontempi qui vient faire un horrible contrepoint sur l'agonie des victimes (version cheap et 21è siècle des comptines enfantines de Profondo Rosso ?). Ce petit jeu de la mort, avec sa mélodie minable et ses jokers qui interviennent pour tout minimiser et rire de tout, je trouve l'idée forte, dérangeante... Si la violence est désormais hors champ, le visage torturé de la souffrance argentesque est toujours là... Le spectateur est pris en otage d'une image de la mort présentée comme un télé-achat, mais il est contraint de regarder, d'être témoin voyeur, de jouer le jeu car son regard est irrésistiblement attiré ... L'esthétique publicitaire tue doublement la victime par son effet de contrepoint...moi j'adore l'idée du grotesque et du rire posé sur la mort (tu perds, tu meurs et en plus tu as droit à une musique ridicule) et je trouve cela parfaitement déstabilisant.
Et une nouvelle fois Argento de s'interroger sur l'impact de l'image, le trompe l'oeil et le cinéma lui-même (j'ai un peu pensé à Blow Out). En cela l'idée de l'écran dans l'écran dans l'écran me paraît symptomatique du vertige de la lecture de la réalité. A travers le décryptage de l'image, la recherche de la mise en scène, et de l'erreur de perception, Argento interroge son propre rapport à la mise en scène, au montage, à l'ellipse réussit parfaitement à transformer la réalité en spirale vertigineuse.
En ce qui concerne l'intrigue elle même, le pitch lui-même n'a que peu d'intérêt et l'on sent dès le départ que ça n'est pas la motivation du tueur qui intéresse Argento. Ce sont plus encore les scènes secondaires que les personnages secondaires qui sont plutôt baclées. Car s'il est vrai que les collègues du commissariat font un peu ringards et sans épaisseur c'est surtout dans la manière de terminer les scènes de poker, qu'Argento a un peu de mal... on le sent parfois géné...et je trouve que les réactions enthousiastes voire de rire à chaque coup gagné sont assez mal vues ... ils reprennent un sourire niais un peu rapidement pour une situation pour le moins dramatique. SPOILER Par contre l'une des grandes qualités du film est le sort parfois très inattendu réservé à ses personnages. La cruauté prime et c'est tant mieux.SPOILER.
Le couple Rocca-Cunningham fonctionne à merveille ; S.Rocca est tout simplement l'une des meilleures actrices d'Argento, et la justesse de son jeu, la beauté de son regard en font une superbe héroine ; je trouve le dernier plan extrémement touchant. Argento se rapproche de ses personnages, les humanise, leur donne plus d'épaisseur.
Alors, pourquoi s'acharner autant sur Argento ? Probablement parce qu'il n'est pas un vrai cinéaste de genre et qu'il ne suivra jamais de parcours balisé et encore moins celui qu'il a déjà emprunté. Il conserve sa thématique intacte mais l'intègre constamment dans de nouveaux espaces de réflexion ... En tout cas pour moi, "IL Cartaio", loin d'être un Argento mineur, m'a convaincu et fasciné dès sa première vision, et la deuxième aura probablement lieu dans la semaine.