Ecœurement
Blood and bones marque le retour bienvenu à un genre qui a depuis longtemps deserté les écrans nippons. Cette fresque familiale fortement ancrée dans le riche milieu socio-politique de l'après seconde guerre mondiale promettait beaucoup, malheureusement ne sachant comment dépeindre la violence intrinsèque de son personnage, Yoichi Sai se perd en cours de route et frôle le naufrage pur et simple.
Kim Shun-Pei, un immigré coréen de la première génération, travaille dans une usine de poisson à Osaka. D'une nature extrêmement violente, il boit après le travail et se retrouve rongé par la haine. Quand l'usine ferme, il entraîne tout son entourage dans son orbite destructrice.
Adaptant une nouvelle de Yang Sogiru, Blood and bones bénéficie d'un budget confortable conforme aux ambitions de l'œuvre et offre une reconstitution historique crédible des quartiers pauvres d'Osaka. Cette fresque familiale s'étalant sur plus d'un demi-siècle revendique la filiation directe avec des œuvres telles Cuirassés et Cochons (61) de Imamura. Même ancrage dans un fort contexte socio-politique (ici la période troublée de l'après guerre), même description rugueuse de personnages et sociétés en crises . L'entame du film séduit par sa belle ampleur qui évoque une époque que l'on croyait définitivement révolue, le très beau score de Taroh Iwashiro entre en résonance avec le contexte chargé et distille une belle émotion. On y voit le jeune Kim Shun-Pei, l'œil ému, qui depuis le bateau au bord duquel il a quitté sa Corée natale, aperçoit les côtes japonaises qui se profilent à l'horizon. C'est sur cette terre que se jouera desormais son avenir. Yoichi Sai témoigne d'une belle maîtrise technique à la hauteur de l'ambition de son sujet. Malheureusement, son talent est plus celui d'un illustrateur que celui d'un vrai cinéaste.
Bientôt, le personnage interprété par Kitano viole, littéralement, sa femme lors une séquence difficilement supportable. Ce qu'on croit n'être qu'un passage obligé dans la radiographie d'un homme fou marque au contraire le début de la longue dégringolade du film. En voulant dépeindre le personnage de Kim Shun-Pei telle une bête humaine, Yoichi Sai ne s'intéresse finalement qu'aux conséquences de ses actes et non à ses motivations profondes. Blood and bones ne sera plus dès lors qu'une répétition à l'infini de séquences violente : gifles, bagarres et conflits larvés rythment le quotidien d'un personnage que Kitano porte à bout de bras. S'appliquant avec un sadisme calculé à décrire un beau salaud lâche et passif, Kitano s'il offre une belle prestation d'acteur, ne sort pas spécialement grandi de l'expérience.
Devant un tel enchaînement de séquences chocs, dont se distingue néanmoins des germes de développement intéressants tel la revolte du fils face à la figure patriarcale, se pose la question de l'adaptation. Qu'a retenu Yoichi Sai du roman original? Simple transposition d'un récit fondamentalement violent ou sélection arbitraire de scènes destinées à satisfaire un certain voyeurisme malsain ?. Surprenant de la part d'un réalisateur qu'on avait connu beaucoup plus subtil dans son beau Doing Time, voir même carrément niais dans son canin Quill. Blood and bones s'échine à nous convaincre de la bestialité de son personnage, son étalage complaisant fini par se retourner contre son dispositif même plutôt que son personnage. Aversion envers l'objet filmique plutôt qu'envers son protagoniste, la gêne et le malaise font bientôt place à une exaspération qui finit par lasser le spectateur, et pire, l'amuser devant de tels excès comme lors de la scène où le corps sans vie de la femme de Kim Shun-Pei est trimbalé au beau milieu d'une mêlée générale. Certaines scènes de mauvais goût frisent la complaisance comme lorsque qu'un cochon est savamment égorgé puis découpé, ou encore lorsque la caméra s'attarde sur du vomi ou de la viande rongée par les vers.
Néanmoins, ici et là se détachent quelques beaux moments qui empêchent l'œuvre de sombrer corps et ame. Telles ces scènes qui nous présentent un Kitano sensible s'occupant de sa femme lobotomisée. Les relations beaucoup trop basiques entres les personnnages sont le gros reproche qu'on peut formuler à l'encontre du film. En s'attachant à décrire la furie destructrice d'un homme pourri, Yoichi Sai élude totalement les zones d'ombres et les paradoxes qui rongent le personnage. D'où naît cette violence? A cette absence de dimension psychologique vient s'ajouter l'absence de pôles identificateurs et d'un vrai point de vue. Les personnages secondaires insuffisamment développés ne peuvent fournir de contrepoint valable au personnage omniprésent de Kim Shun-Pei, ils n'offrent pas le recul nécessaire à l'observation de sa la lente déchéance. Le contexte historique passionnant maintient tout même l'intérêt même si l'évocation de la rivalité sociale entre immigrés coréens et autochtones ne reste qu'au stade de simple stéréotype. De même, l'évocation des courants de pensée de l'époque (le communisme notamment) n'est guère plus adroite et fait plus figure de simple decorum historique que vrai constituant du récit. Cette violence surfaite manque singulièrement de viscéralité et respire par trop le nihilisme artificiel
Pourtant alors qu'on croyait Blood and bones défintivement perdu, la dernière demi-heure laisse enfin la violence de coté, et s'attarde sur un Kitano vieillard dont le corps fatigué ne peut plus répondre à ses accés de rage intérieure. De beaux moment pathétiques apparaissent dès lors, la figure du père humilé devant son fils revanchard qui hésite à lui sauver la face. ou encore la scène finale où, sur son lit de mort, Kim Shun-Pei revoit défiler le film de sa vie. Il réalise enfin l'échec et le gâchis de son existence, peut être même une douloureuse trahison envers l'enfant qu'il a été. Finalement se dégage une forte nostalgie de son pays natal, un sentiment qui dévoile retrospectivement le profond traumatisme de son exil. Yoichi Sai aurait sans doute tout gagné à puiser dans le déracinement de son personnage.
Blood and bones est le triste exemple d'une approche maladroite d'un récit pourtant prometteur. Paradoxalement et malgré toutes les réserves qu'il suscite, Blood and bones surnage aisément dans la morne production contemporaine nippone et marque le retour à un cinéma populaire et ambitieux. Et on rêve soudain de voir le toujours fringant Imamura aux rênes d'un tel projet...
Critique extraite du site Eigagogo (eigagogo.free.fr) ou vous retrouvez comme chaque mois des critiques et dossier sur le cinéma nippon avec au programme ce mois çi :
Retour sur une star du cinéma d'exploitation, le denommé Sonny Chiba. Au programme, la trilogie Karate (Karate Bullfighter, Karate Bear Fighter, Karate for Life) ainsi que l'excellent Killing Machine
En parallèle à sa carrière de réalisateur, Shinya Tsukamoto poursuit une curieuse carrière d'acteur. On le retrouve notamment à l'affiche de deux films étranges: Marebito de Takashi Shimizu et Blindbeast vs the dwarf de Teruo Ishii
Un habituel tour du coté de productions contemporaines: Lakeside murder case de Shinji Aoyama, le grand retour de Kitano dans l'attendu Blood and bones, l'adaption live de Perfect Blue par Toshiki Satou, le très nul Charon, et enfin Un Yakuza contre la meute du véteran Eiichi Kudo
On retourne ensuite sur les grands classiques du cinéma nippon: L'ile nue de Shindo, Under the cherry blossom de Shinoda, Contes cruels de la jeunesse de Oshima et enfin deux Ozu: Bonjour et Récit d'un propriétaire
Retour sur deux films hype qui ont beaucoup attiré l'attention: Neighbour 13 et Survive Style 5 +
Et pour conclure, petit détour par le début des années 80 avec Go for Broke de Genji Nakamura et l'excellent Beast must die! de Töru Murakawa
Blood And Bones - Yoichi Sai (2004)
Modérateurs : Karen, savoy1, DeVilDead Team
Blood And Bones - Yoichi Sai (2004)
Cinéma japonais sur eigagogo.free.fr
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Je viens de voir ce film et je l'ai beaucoup aimé. Pas d'accord avec la critique ci-dessus pour plusieurs raisons. Le personnage principal est un salaud, une brute, un monstre d'égoïsme total pour lequel tout son entourage n'a d'autre fonction que d'être à sa botte.
Je ne crois pas que l'approfondissement des motivations du personnage soit alors nécessaire. Il en perdrait sa force. On comprend que c'est un homme parti de rien qui va mourir à la tête d'une fortune qu'il a conquéri grâce à sa rage. Sa rage qui va aussi causer sa "perte" (si l'on peut dire, car je doute qu'il s'en soucie ; je ne crois pas une seconde qu'un regret traverse son esprit au moment de sa mort).
Une grande et belle fresque, un film intelligent, ambitieux et beau, comme j'aimerai en voir plus souvent sur les écrans, qu'ils soient japonais ou d'ailleurs.
Je ne crois pas que l'approfondissement des motivations du personnage soit alors nécessaire. Il en perdrait sa force. On comprend que c'est un homme parti de rien qui va mourir à la tête d'une fortune qu'il a conquéri grâce à sa rage. Sa rage qui va aussi causer sa "perte" (si l'on peut dire, car je doute qu'il s'en soucie ; je ne crois pas une seconde qu'un regret traverse son esprit au moment de sa mort).
Une grande et belle fresque, un film intelligent, ambitieux et beau, comme j'aimerai en voir plus souvent sur les écrans, qu'ils soient japonais ou d'ailleurs.