"Crée en 1985 par Hayao Miyazaki, réalisateur des récents Princesse Mononoke, Le Château Ambulant ou encore Le Voyage de Chihiro, le Studio Ghibli au Japon possède une notoriété devenue internationale depuis quelques années.
A ce titre, outre Miyazaki, on trouve à la tête du studio Mr Suzuki, PDG, mais également un autre homme, Stephen Alpert, américain, engagé par le studio pour s'occuper depuis le Japon de toute l'organisation internationale de Ghibli. C'est avec cette homme que travaillent entre autres les studios Disney à travers le monde pour distribuer ces films, c'est avec lui qu'ils mettent en place les plannings, qu'ils décident de ce qu'il y aura sur les DVD, etc.
Avec les nombreux reports qu'ont connut les films Ghibli, que ce soit en salle ou en DVD, nous avons décidé de le rencontrer armés de questions qui font mal. Au final, plus d'une heure d'entretien - dont nous vous avons également retranscris ci-dessous la mise en place portant sur les doublages - mettant en évidence la philosophie extrême du Studio, à travers un soucis du détail et une obsession pour le respect de l'œuvre qui ne pouvaient venir que du Japon.
Et aussi une grande révélation : Miyazaki se moque éperdument du DVD.
SOMMAIRE
1- Doublage français des Ghibli. Présentation de Stephen Alpert
2- Disney, distributeur de Ghibli. Un monopole ?
3- La minutie de Miyazaki / Les reports incessants en France
4- Les Editions DVD COllector Ghibli
5- Les Editions DVD dans le monde
6- Les doublage anglais dont on se fout ici / Le DTS / Le New York Times
7- La culture asiatique / La HD / Le Filtre rouge de Chihiro
1- Doublage français des Ghibli. Présentation de Stephen Alpert
DVDRAMA : Vous êtes à Paris pour la première française de Pompoko, accompagné de Isao Takahata... La première s'est bien passée ?
Stephen Alpert : Oui, magnifiquement. Vous avez vu le film ?
Bien sûr.
En version originale sous-titrée, ou doublé en français ? (nds : projection presse qui a eu lieu quelques jours après la première projo en présence du réalisateur)
En japonais sous-titré, évidemment !
Vous devriez voir la version française ! Ils ont fait un travail merveilleux. Mais surtout le rajout de sous-titres sur l'écran vous fait perdre beaucoup d'image. C'est un vrai problème surtout lorsque l'on parle de films d'animation : vous ne pouvez pas profiter de tout le travail des graphistes. Les films sont d'abord réalisés pour la version originale, mais si le travail est bien fait, il n'y a aucun inconvénient à le regarder à le regarder doublé. Bien sûr, la version japonaise restera toujours la meilleure. Mais si vous ne parlez pas Japonais, comment voulez-vous profiter du film correctement ? La solution idéale serait que vous appreniez le japonais... Je vais vous avouer une chose : Isao Takahata n'aime pas les sous-titres, et ce pour la raison que je viens d'évoquer. Ils portent atteinte à son travail d'artiste. BVI (Buena Vista International, le distributeur français, ndlr) lui a offert le choix de la version projetée à la première, bien qu'ils avaient prévus la version originale sous-titrée. Il a tout de suite demandé à ce que soit projetée la version doublée. Parce que tout d'abord il savait que nous l'avions supervisé, et ensuite parce qu'il l'avait lui-même écouté et qu'il trouvait que les voix et intonations choisies allaient très bien.
Vous portez autant d'attention au doublage français qu'à l'anglais ?
Maintenant oui. Ghibli a depuis quelques années engagé au Japon un français qui supervise l'intégralité du doublage. Pour être tout à fait honnête, nous vérifions les doublages anglais et français. Ensuite, nous essayons de vérifier les doublages allemands, italiens, etc, mais personne ne parle très bien ces langues chez Ghibli. On vérifie les intonations, la qualité des voix. Après on se fie aux réactions du public, notamment des fans qui sont très nombreux et n'hésitent pas à nous faire part immédiatement de leurs impressions. Mais il est clair que nous ne pouvons pas porter la même attention à toutes les langues dans lesquelles les films du studio sont traduites. Le doublage anglais et maintenant le doublage français sont travaillés de très près.
Quelle est votre fonction précise chez Ghibli ?
J'ai exactement deux responsabilités à Ghibli. Tout d'abord, organiser toute la distribution des films du studio en dehors du Japon, et ensuite je travaille sur la traduction et l'adaptation de chaque film. Je m'implique personnellement dans le travail pour les Etats-Unis, et je m'assure que les traducteurs pour les autres langues aboutissent au résultat que nous souhaitons. Nous approuvons chaque traducteur, que ce soit pour les films, ou les livres que nous publions. La sélection se fait à la base d'une étude de leur CV, d'un entretien, etc...
Vous êtes responsables du calendrier des sorties à travers le monde ?
C'est la responsabilité de chaque distributeur. Nous essayons de ne pas interférer.... (rires), bon on intervient de temps en temps, soit. Le plus grand travail est de trouver un distributeur dont nous nous sentons proche, avec qui nous pensons obtenir le résultat que nous voulons. Ensuite, nous lui faisons confiance pour le reste.
2- Disney, distributeur de Ghibli. Un monopole ?
Ghibli a choisi le studio Disney pour la distribution de leurs films dans la plupart des pays. Pourquoi un tel choix ? Ne peuvent-ils pas être perçus comme un concurrent ?
Pour répondre à cette question, il faut remonter dans l'histoire du studio Ghibli, bien avant que je rejoigne cette société. Le premier film qui a été distribué en dehors du Japon, fût Nausicaa aux Etats-Unis. Ghibli a tout simplement été horrifié de voir comment le film avait été traité : il avait été monstrueusement coupé, le titre avait été changé, etc. Lorsque Hayao Miyazaki a découvert ça, il a tout de suite déclaré qu'il ne distribuerait plus aucun de ces films à l'étranger. Il y a eu quelques exceptions, comme en France Porco Rosso ou Mon Voisin Totoro, mais là encore il y a eu des problèmes qui a chaque fois les ont refroidis. Mais Ghibli connût au même moment son premier grand succès au Japon, avec justement Porco Rosso. Les années qui suivirent, ces succès devinrent de plus en plus importants, avec Pom Poko, Whisper from the Heart et bien évidemment Princesse Mononoke. De plus en plus de distributeurs étrangers nous sollicitaient, notamment aux Etats-Unis. Nous en avons refusé énormément. En revanche, lorsque Disney nous a rencontré, ils nous ont tout de suite dit : "Notre métier est également l'animation. Nous ne couperons jamais un seul de vos films.". Ils ont été assez malins pour se présenter de telle manière. Et nous avons alors commencé à travailler ensemble sur des règles instaurées par Disney eux-même, et non Ghibli.
Ca paraît trop beau pour être vrai.
(rires) Tout à fait ! C'est rapidement devenu bien plus compliqué ! Les gens croient que l'accord de distribution a commencé à la sortie de Princesse Mononoke. C'est faux. Il s'agit bien du premier film distribué, mais l'accord a eu lieu très en amont, alors que le projet Mononoke n'était même pas au stade de l'écriture ou des premiers croquis. Et croyez moi que Disney ne s'attendait pas à ça. (rires) Je pense qu'ils s'attendaient plutôt à un film du genre Mon Voisin Totoro, tout mignon et pour les enfants. Le résultat vous le connaissez. Lorsqu'ils ont vu à quoi ressemblait Princesse Mononoke, leur sang n'a fait qu'un tour. Et ils ont confié à Miramax le soin de distribuer le film.
Il faut comprendre que dans certains pays, Disney est vraiment le meilleur distributeur dont nous puissions rêver. Par exemple nous sommes ravis du travail de Disney France. En revanche dans certains autres pays, Disney n'est pas le distributeur qui nous correspond le plus...
C'est pourquoi dans certains pays l'accord avec Disney a été rompu ? En Espagne par exemple...
Exactement.
On lit parfois sur le net, dans les forums de fans, que les films Ghibli sont si lentement distribués parce que Disney les "retient". Par peur presque. Comme s'ils avaient mis la main sur leur distribution pour éviter qu'ils soient trop connus...
C'est évidemment beaucoup plus compliqué que ça. Tout d'abord, cela dépend des pays, car la distribution varie énormément d'un pays à l'autre.
Je pense à la France.
BVI distribue nos films d'une façon similaire à la manière dont nous les sortons au Japon. Leur vue est à long terme. Ils ne les sortent pas à la file comme n'importe quel film. Chacun est traité comme un évènement. Chacun bénéficie d'une véritable sortie en salles, nouveau ou ancien ! Ghibli est avant tout un studio de cinéma. Si nous laissions faire Miyazaki agir comme il le souhaitait, il interdirait les sorties DVD, vidéo ou encore les passages à la télévision.
3- La minutie de Miyazaki / Les reports incessants en France
Pourquoi ça ?
Parce qu'il crée ses films pour être vus au cinéma, sur grand écran, avec un public, et dans des conditions techniques impeccables. Il n'aime pas que ses films soient vus sur un petit écran, seul, et encore moins plusieurs fois ! Chacun est crée pour être une expérience unique, à la rigueur que l'on voit deux fois au cinéma, mais pas plus. Lorsqu'il dessine, il pense au cinéma. Pas à la vidéo. C'est un peu comme une peintre qui, lorsqu'il crée, a sa toile en tête, son cadre. Miyazaki pense comme un artiste, il se moque du succès commercial ou non. Bien évidemment il est content que les gens aillent voir ses films et les apprécient. Mais il se fout complètement de la sortie DVD. (silence). Je ne devrais peut-être pas dire ça... (rires).
Il a son point de vue d'artiste. C'est légitime.
On peut le comprendre. Imaginez que vous alliez voir Monnet en lui montrant une carte postale de sa toile et en lui demandant si ça lui plaît. Il va s'arracher les cheveux et hurler "Non !!!". Et il a raison.
Mais pour les distributeurs, et surtout pour moi qui ait un point de vue plus pratique, la sortie DVD est indispensable. Tant que le travail est impeccable, que le film n'est pas coupé... Dans certains pays, nos distributeurs veulent promouvoir le film d'une manière qui ne le reflète pas. Ils veulent lui donner un aspect plus commercial. Nous avons eu beaucoup d'engueulades au sujet des titres : nous essayons qu'ils soient traduits littéralement, et non d'une manière plus marketing. Les "Magiciens de...", "La Magie du...", on en voit souvent, parce que les distributeurs se disent que ça rappelle Harry Potter ou Le Seigneur des Anneaux. Nous voulons des distributeurs qui apprécient nos films pour ce qu'ils sont, et souhaitent que les spectateurs les apprécient pour ce qu'ils sont. Sans prétendre qu'il s'agit d'autre chose. Pour moi c'est même un manque de respect pour les gens qui vont au cinéma.
Donc en pratique, pourquoi les sorties sont-elles aussi espacées ?
Pour nous, une sortie par an c'est parfait. De cette manière, chaque film a droit à une sortie remarquée, au cinéma, puis en DVD, puis à la télévision. Nous ne pousserons jamais Disney France à sortir plus d'un film par an. Et si ils le faisaient, ils n'auraient sans doute pas le temps que cela soit dans d'aussi bonnes conditions. Pour nous, c'est important.
Comment est établi le planning des sorties à l'international ?
En France, le planning est établi par BVI pour le cinéma. Point.
Un film comme Kiki la petite sorcière a longtemps été repoussé. Pendant deux ans ! Et lorsque nous leur demandions pourquoi, ils semblaient montrer du doigt Ghibli japon.
Deux ans ??? En France ? C'est énorme en effet. Nous discutons de ce genre de choses avec eux, certes, mais Ghibli n'est pas responsable, il faut s'adresser à BVI.
Ce qui a pu en revanche arriver, c'était que la sortie du Château Ambulant était prévue pour l'été 2004 au Japon, et il a été repoussé à Décembre. Ca a sans doute tout chamboulé. BVI sort un film Ghibli par an, parfois exceptionnellement deux. Ils ont aussi à gérer les films de Disney, et toutes les autres sorties. Chaque distributeur doit régler son planning de façon à ce qu'aucun grand film d'animation n'empiète sur un autre.
Vous savez, c'était la première fois dans l'histoire de Ghibli qu'un film ratait sa date de sortie. Tout le monde était habitué à notre rigueur de planning : la surprise n'en a été que plus grande, et tous les plannings en ont souffert. C'est sans doute ce qu'ils veulent dire lorsque la faute était venait du Japon.
La sortie du DVD en France d'un film Ghibli a lieu un an après celle au cinéma. Cela paraît absurde à une époque où le délai est de six mois. En contrepartie, les fans se ruent sur l'édition japonaise qui souvent contient une piste française et des sous-titres français. Vous en pensez quoi ?
Honnêtement, lorsque nous sortons un DVD au Japon, nous ne pensons pas du tout à ce qui va se passer en dehors du pays. Pour ce qui est du délai de sortie, au Japon les meilleures périodes sont toujours Novembre/décembre. Tout le monde va partir en vacances, tout le monde achète des cadeaux. la période de Noël est tout simplement la meilleure. Et bien sûr, puisque c'est nous qui créons les masters, une sortie DVD ne peut avoir lieu en premier ailleurs qu'au japon. Ils doivent attendre.
Quant à la piste française, et bien si elle est prête ils la mettent, tout simplement. Les responsables des autres pays nous supplient de ne pas la mettre. Mais les japonais adorent avoir des pistes étrangères, même s'ils ne les écoutent pas. Ils adorent l'idée de l'avoir. Ca donne du panache au DVD... Mais vous avez peut-être raison, on devrait sans doute la retirer... Mais ils mettent tout ce qu'ils ont sous la main, même parfois des pistes chinoises.
4- Les Editions DVD COllector Ghibli
Parlons des éditions spéciales. Il y a par exemple une édition 3-DVD de Princesse Mononoke, entièrement consacrée aux suppléments... sans le film !
Non, nous n'avons jamais sorti ça. Nous ne croyons pas aux suppléments. Du moins à profusion, car nous en mettons un peu de temps en temps, mais c'est très rare. Mr Suzuki, président de Ghibli, pense que les gens ne veulent que voir le film, et à la rigueur un peu d'informations sur comment il a été réalisé. Les DVD aujourd'hui sont remplis à raz bord. Il y a un mot en japonais pour désigner cette course à celui qui en rajoutera le plus. C'est insensé, ils ne se demandant même pas si ça intéresse les gens.
Peut-être. Mais en tout cas il y a bien eu une édition 3-DVD de Princesse Mononoke, je ne suis pas fou !
Mais non ! (silence)... Ah si, je vois ce dont vous parlez. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'une édition 3-DVD du film, mais d'un documentaire "Comment est né Princesse Mononoke". Pour tout vous expliquer, entre Porco Rosso et Princesse Mononoke, cinq ans se sont écoulés sans que Hayao Miyazaki n'ait réalisé quoique ce soit. Quelqu'un de la chaîne japonaise publique japonaise NHK s'est dit "Ce type est un génie, et il n'a pas fait de film depuis longtemps. On devrait réaliser un documentaire sur la création globale de A à Z de son prochain.". Miyazaki et ses producteurs ont donné leur accord pour que tout soit filmé, du début quand il n'avait pas encore de projet, jusqu'à la sortie du film, pour la télévision. Ce n'était donc pas un "bonus", mais un documentaire à part pour montrer la création complète d'un film. Il faut se souvenir qu'à l'époque, en 1997, le DVD n'en était qu'à ses balbutiements. Personne ne voyait ça comme un bonus DVD, mais comme un film à part, juste pour la télévision. Jusqu'à ce que l'on décide de le sortir sous la forme d'une édition DVD entièrement dédiée à ce reportage. Et lorsque quelqu'un a proposé qu'il soit remonté, la chaîne a exigé que le documentaire devait être montré dans son intégralité, comme il avait été pensé.

L'édition collector du Voyage de Chihiro sortie le 23 Mars 2005... trois ans après son annonce
Avez-vous vu les éditions spéciales réalisées exclusivement en France ?
(gêné) Oui... Qu'en avez-vous pensé ? Leur accouchement n'a pas été sans difficulté (2 ans de reports, Ndlr), et Ghibli Japon en a été clairement montré comme responsable.
... (long silence). Tout ce que je peux vous dire, c'est que le Studio Ghibli n'aime pas les bonus fabriqués spécialement pour un DVD. Si un documentaire existe, il doit rester tel qu'il est. C'est notre politique au Japon.
Le problème est donc que le documentaire sur le DVD français soit un remontage des dix heures de suppléments de "Comment est né Princesse Mononoke" ?
Tout à fait. Mais en même temps l'équipe française qui s'en est chargé s'est montré tellement passionnée et sincère, nous sentions qu'ils voulaient faire quelque chose de bien, donc nous avons céder et les avons laissé faire... (silence) Le problème final est que c'est toujours dérangeant de voir le travail de quelqu'un remanié, que le résultat soit bon ou non. Nous ne pouvons pas empêcher l'enthousiasme d'un distributeur à faire du bon travail. Mais d'un autre côté, comment être sûr du résultat final ? Nous avons donc demandé à voir. Ce qui en terme marketing n'est pas une très bonne idée lorsque vous essayez de sortir un DVD dans le commerce, car il s'agit d'un très long processus pour être sûr de la qualité du résultat. Ce n'est pas dans la politique du Studio Ghibli d'approuver facilement ce genre d'entreprise. Et je ne peux pas vous dire à quel point c'est nuisible de rater une date de sortie. Pour reprendre l'exemple du report en salles du Château Ambulant, sa date de sortie était prévue avant même qu'ils commencent à travailler dessus. Pourtant ils ont décidé de le sortir plus tard. Pourquoi ? Parce que c'était nécessaire, le travail n'était pas achevé. Certains studios auraient dit "une date, c'est une date : on le sort", mais ce n'est pas notre politique. Il en va de même avec tout, même la création d'une édition spéciale DVD en France. C'est comme ça que nous travaillons. La qualité du résultat passe avant tout.

L'édition collector de PRINCESSE MONONOKE sortie l'année dernière, le 26 Mars 2004... deux ans après son annonce
Cela vient donc d'une volonté que le résultat final soit parfait ?
Cela vient surtout de la philosophie de Miyazaki lui-même. Il préfèrera fermer le studio et renvoyer tout le monde chez soi plutôt que de sortir un film inachevé. Et il ne plaisante pas, il le ferait vraiment !
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