Pour simplifier les choses, on ne va pas aborder l’époque du Velvet Underground qui, du haut de ses quatre albums, représente à elle seule un pan monumental de l’histoire de la culture américaine ! Bornons nous à rappeler que ces disques, bien que très influents très tôt, n’ont pas connu de succès commercial. Pourtant, dès le début des années 70, des musiciens se réclament de leur influence. Ainsi, Bowie, dans « Hunky Dory », dédie une chanson au Velvet (Queen Bitch) et une autre à Andy Warhol.
En 1972 sort « Lou Reed », le premier album solo, chez RCA, le même label que Bowie justement, dont les fameux macarons oranges sont restés gravés dans l’imaginaire des collectionneurs de disque ! Un premier album bien médiocre hélas. Lou Reed se voit entouré d’un groupe de bons techniciens, assurément (dont Rick Wakeman), mais sans âme ni invention. Bref, tout le contraire du Velvet pour cet album insipide dont 90 pour cent des morceaux sont des compositions datant de l’époque du Velvet non utilisées. Les versions Velvet qui seront exhumées et révélées au public plus tard leurs sont toutes supérieures et de loin. Bref, un album de transition, maladroit, dont on ne retiendra qu’une superbe pochette…
Puis Bowie et son arrangeur-guitariste Mick Ronson prennent Lou Reed sous leur aile pour produire « Transformer » et lui offrent enfin le succès public et commercial qui vont en faire une vraie légende de la musique américaine : « Walk on the wild side » ! Mais ce morceau ne doit pas cacher les autres classiques contenus sur l’album : « Vicious », « Satellite of Love » et surtout le splendide « Perfect Day » à la production arrangée par un Mick Ronson en état de grâce. Même les morceaux mineurs de cet album au fond pas si ambitieux que cela deviennent des classiques (« New York Conversation », « Goodnight Ladies »). La pochette simple et terriblement efficace fige à jamais l’image de Lou Reed dans l’imaginaire populaire !
Remis en confiance, Lou Reed se lance alors dans la création du concept album « Berlin », avec l’aide du producteur Bob Ezrin, complice d’Alice Cooper. Ezrin qui signe ici le premier de ses 3 chefs d’œuvres de producteur (suivront ensuite « Welcome To My Nightmare » d’Alice Cooper et « Pink Floyd The Wall »). On retrouve des morceaux non utilisés de l’époque du Velvet, mais retravaillées et nettement améliorées afin de s’insérer dans cet album superbe, où s’entrecroisent l’intimisme de « The Bed », les ambiance rock (« How Do You Think It Feels ») et la débauche de production (le superbe final « Sad Song »). Le disque est un chef-d’œuvre (on n’est pas prêt d’oublier les magistrales parties de guitare de Steve Hunter et Rick Wagner), sans un seul morceau faible. Mais il est aussi un échec. Sévèrement attendu au tournant après le triomphe de « Transformer », Lou Reed est trainé dans la boue par la critique qui ne comprend pas ce disque… Un échec injuste, qui marquera profondément Lou Reed à ce moment. Qui sait ce qu’aurait été sa carrière si « Berlin » avait eu le succès qu’il méritait à son époque ?
Vient ensuite un autre disque-culte, pour d’autres raisons. La tournée de « Berlin » est enregistrée et donne lieu à deux albums live. Le premier, de loin le plus connu, est « Rock’n Roll Animal », autre pochette célèbrissime. Un live qui est avant tout prétexte à des relectures Hard Rock de certains morceaux du répertoire de Lou Reed (« Lady Day », « White Light White Heat ») et surtout à de longues plages de guitare du tandem Wagner/Hunter. La version de 8 minutes de « Sweet Jane » et sa longue intro devient un classique. Avouons qu’aujourd’hui tout cela a quand même vieilli. En particulier, on se serait bien passé de versions massacrées de « Heroin » et « Rock’n Roll »… On y découvre tout de même un Lou Reed agressif, électrisé, nouveau…
Après le bide de « Berlin », Lou Reed adopte un profil bas et signe « Sally can’t dance », album commercial et insipide, dont le médiocre morceau-titre aura même le droit à un certain succès commercial. L'album lui-même est le plus gros succès commercial de Lou Reed aux USA : voilà de quoi édifier ceux qui croiraient encore qu'il y a une justice en ce bas monde ! C'est effectivement un disque mauvais, à oublier, dont on ne sauvera que le remarquable « Kill Your Sons » où Lou Reed retranscrit ses souvenirs de jeunesse, quand ses parents l’envoyaient en clinique psychiatrique dans l’espoir de le soigner ses « dérèglements sociaux ». L’autre face de l’amérique souriante et colorée des 60s, où l’on soigne à coup d’électrochocs et de médicaments les enfants qui ont le malheur de ne pas rentrer dans le moule… Au moment de cette album, Lou Reed ne va pas très fort. On connaît des images de live de cette époque, où on le voit, complètement speedé et gesticulant, massacré ses plus beaux morceaux sur scène. Triste !
Puis sort le sobrement intitulé « Lou Reed Live » et sa pochette argentée. Il s’agit en fait du second volume des enregistrements de « Rock’n Roll Animal ». Un disque que j’aurais même tendance à trouver un peu meilleur, d’ailleurs, même si l’ambiance est semblable…
Enfin, Lou offre un cadeau empoisonné à RCA : « Metal Machine Music », un double album de bruitage industriel entièrement fait à la guitare, extrêmement agressif et à pratiquement inaudible, même pour les fans de groupes comme SPK ou Non ! Une sorte de pied de nez vicieux bien dans le mauvais esprit de Lou Reed !
Après cette explosion enfonçant même les excès de « White Light, White Heat », Reed signe un bel album apaisé, ensoleillé : « Coney Island Baby », joli assemblage de balades new yorkaises. On remarque en particulier une très bonne version de « She’s my best friend » (encore un rebut du Velvet !) ou le superbe morceau titre.
Lou Reed quitte ensuite RCA pour Arista fondé par un ami. Une nouvelle période commence alors avec un album relativement mineur, « Rock’n Roll Heart », mais néanmoins très agréable, avec quelques morceaux trop injustement méconnus, comme les belles chansons « Ladies pay » et surtout « You wear it so well »…
Il trouve son nouvel équilibre avec « Street Hassle », disque remarquable au cœur duquel se trouve le long morceau « Steet Hassle », sorte de mini-opéra en trois actes nous montrant les talents de conteur de Lou Reed à son apogée – et avec Bruce Springsteen qui vient taper un petit rap au milieu ! Provocation de mauvais goût (« I wanna be black » – « je veux être noir pour avoir une grosse bite » !), pop (« Wait »), l’incontournable rebut du Velvet (« We’re gonna have a real good time together »), rock (« Leave me alone »)… Un Lou Reed très à l’aise et très en confiance !
Vient ensuite le long live « Take No Prisonners », album assez radical comme l’indique son titre et sa pochette, où Lou Reed improvise de longs passages parlés, injurie son public, le provoque délibérément en saccageant une longue version de « Walk on the Wild Side »… Là encore, du pur Lou Reed très en forme. L’album a aussi ses moments de grâce, avec la plus belle des versions de la chanson « Berlin » et une version déchirante de « Pale Blue Eyes »
Lou Reed continue dans sa lancée avec le très bon « The Bells », album dynamique au contenu très varié – un morceau/une ambiance, avec notamment la collaboration du trompettiste de jazz Don Cherry. On relève en particulier une très jolie chanson en hommage à Charles Chaplin (« City Lights ») et « The Bells » un long et magnifique morceau expérimental de dix minutes…
On arrive ensuite à une période un peu problématique. Au sortir des années 70, Lou Reed le provocateur flamboyant, le petit new yorkais à la grande gueule et à la réplique cassante passe un peu de mode. Il tente de se réinventer avec l’album « Growing Up In Public » où il apparaît sur la pochette sans maquillage, ayant l’air de faire dix ans de plus que son âge ! Un Lou Reed plus sage, mais tout de même encore assez vache, réglant ses comptes avec ses parents notamment, et proposant des morceaux pop toujours bien fait (même s’il y a deux morceaux très médiocres - « The Power of Positive Drinking », « Growing Up In Public »).
Lou Reed revient à une face plus noire avec « Blue Mask », album solide, sobre, sombre, nanti de belles paroles (« My House »). Lou Reed y avoue une nouvelle passion : la moto ! Mais cela reste quand même avant un bon moment la dernière fois que Lou Reed baigne sa plume dans l’encrier ténébreux et poétique qui a fait sa réputation au temps du Velvet…
Puis, c’est « Legendary Hearts », dont j’aime bien le morceau-titre, le genre de « classique mineur » dont on ne se lasse pas vraiment. Ce que je connais du reste de l’album est par contre sans intérêt. Je ne sais même pas si je l’ai écouté en entier.
Vient ensuite le « Live In Italy », je crois que je l’ai eu à moment, mais je n’en ai plus aucun souvenir !
Lou se renouvelle heureusement avec « New Sensations », album à l’ambiance relax et assez légère où l’on retrouve un Lou Reed optimiste mais néanmoins toujours narquois, assez inattendu. La chanson « New sensations » est très sympa tout comme d’autres morceaux tels que « Doin' The Things That We Want To » ou « My Friend George ». Sympa !
Le suivant, « Mistrial » de 1986 est par contre un échec, un disque de has been un peu perdu dans les années 80 dont on retient juste une jolie ballade « Tell It To Your Heart ». Pour le reste de la variétoche synthétique complètement désarticulée et inintéressante…
Pour moi, les années 80 sont la période la moins intéressantes de Lou Reed. Après une quinzaine d’années très rock’n roll, le Lou s’est accordé une pause, s’est marié, un peu embourgeoisé, bref s’est un peu rangé. Néanmoins, Lou Reed est aussi orgueilleux et vaniteux. C’est quelque part ce qui va sauver sa carrière à ce moment. Lui qui se voit de plus en plus catalogué comme un artiste fini, qui ne choque plus personne, se voit rattrapé par son passé. Le Velvet est maintenant reconnu comme un des groupes les plus importants de l’histoire du rock US, Berlin est devenu un classique… Lou Reed, officiellement « poète sulfureux de New York » doit se montrer à la hauteur de sa réputation d’« hommes de lettres », d’espèce de Jim Morrisson de la côte est.
Il revient donc avec un album beaucoup plus défendable, plus rock, mettant en avant le son âpre de guitares bien lou reedienne et des textes incisifs, engagés, polémiques, parfois même politiques. A nouveau il revient aux rues de New York pour en dresser le portrait et s’invente une nouvelle carrière. « New York » est acclamé par la critique et connaît même un certain succès par le biais du morceau « Dirty Boulevards ». Certes, tout n’a pas très bien vieilli sur cet album dont certains passages sont un peu lourds (« Busload of Faith ») ou ont vieilli (« Good Evening Mr. Waldheim »). Mais « New York » marque vraiment la renaissance d’un Lou Reed apparemment soucieux de reprendre sa carrière en main. On remarque, la présence de Moe Tucker, la batteuse du Velvet, pour un morceau très Velvet, justement…
Ce retour sur le temps du Velvet, il sera surtout marqué par le superbe album « Songs For Drella » co-signé avec John Cale, l’autre tête pensante du groupe que Lou Reed avait chassé après « White Light White Heat ». Un concept album hommage à Andy Warhol, magnifique, nous montrant, chose rare, un Lou Reed humble face aux gens qui l’ont aidé à faire s’épanouir son talent. Un album sans faute, un chef d’œuvre.
La mort de deux de ses amis va aussi communiquer à Lou Reed le besoin de faire un album sur la Mort, l’absence des autres, le départ définitif vers le néant. Ce sera « Magic & Loss » un autre très grand disque. Moins immédiat et universel que « Songs For Drella » certes, mais un disque aussi profondément intime et grave, à ne pas écouter tous les jours en tous cas ! Pour l’anecdote, j’étais allé me faire signer par Lou Reed ce cd le jour de sa sortie à feu la Fnac Opéra. J’étais jeune, j’étais fol, j’avais 18 ans et j’aimais le rock’n roll, que voulez-vous… C’est la seule fois où j’ai vu Lou Reed en vrai (je ne l’ai jamais vu en live jusqu’à maintenant) : il ressemble un peu à la momie de rasparcapak dans « Les 7 boules de cristal » en version miniature avec des grosses lunettes noires… Voilà, fin de l’anecdote !
C’est à cette époque que se reforme le Velvet pour une tournée assez inattendue, passant notamment par l’Olympia à Paris. Un concert que j’ai raté et franchement il fait partie de ceux que je regrette vraiment (aux côtés des Ramones ou de Bodycount dans d’autres genres que j’ai aussi raté pour de mauvaises raisons…). A l’époque, les quatre musiciens de la formation originelle dirent s’être réunis seulement pour l’argent. Un album studio est vaguement envisagé, mais il ne se fera jamais. Sans doute est-ce mieux ainsi… La mort de Sterling Morisson peu de temps après cette reformation mettra un terme définitif à l’histoire du Velvet…
Par la suite, Lou Reed semble un peu avoir bouclé la boucle. Je n’ai pas vraiment de souvenirs très mémorable de « Set The Twilight Reeling », un album digne, certes, mais qui ne m’a pas beaucoup marqué. Idem pour « Ecstasy », qui se fit beaucoup attendre sans pour autant s’avérer incontournable. Peut-être faudrait-il que je rejette une oreille à ses deux-là…
Par la suite, Lou Reed signe un long concept album (deux CD) nommé « The Raven » qui est son hommage à Edgar Poe. Poe dont décelait déjà l’influence du temps du velvet, sur des morceaux tels que « Black Angel’s Death Song » ou « The Murder Mystery ». Le goût du macabre et du sulfureux ayant sans doute été ce qui a le plus caractérisé le Velvet aux temps du Peace and Love généralisé… Une kyrielle des Guest star sont de la partie, dont Antony, William Dafoe, Laurie Anderson et David Bowie (à propos duquel Lou Reed aura, à la fin des années 70, cette phrase très dure qui poursuivra longtemps le chanteur anglais « Son seul talent, c’est celui des autres. » Là encore, du pur Lou Reed !) Je ne crois pas avoir écouté "The raven" - ou alors j'ai oublié !
Cet album est suivi par un Live agréable, bien qu’un peu longuet, faisant la part assez belle aux chansons de « Berlin » et du Velvet, en particulier une belle version de « Candy Says » chantée par Antony. Un seul morceau vient de « The Raven »…
Voilà, on en est là. Lou Reed refait donc surface pour offrir une nouvelle vie à « Berlin », en le montant comme un spectacle musical avec projections, orchestres, choristes. Il me semble d’ailleurs qu’il avait déjà tenté de monter un tel spectacle très ambitieux en 1973, je ne sais plus si ça s’était vraiment fait à l’époque… Et un nouvel album de chansons originales est aussi annoncé…
Le scène du spectacle "Berlin", pour le concert de Sidney, cette année :
