Pas mal de sentiments divers se mêlent à la (re)vision avec un peu de recul de cet "Inconnu dans la maison". Dernier film de cinéma de Georges Lautner après une immense et prolifique carrière, premier gros échec commercial de Belmondo après des décennies de succès, ce film marque clairement la fin d'une époque.
Nouvelle adaptation d'un roman de Simenon après une version mise en image par Henri Decoin et portée par Raimu 50 ans plus tôt, ce film semble souffrir d'être en quelque sorte né au mauvais endroit au mauvais moment. Une période où le cinéma français et son public ont voulu tourner la page, et où après avoir connu Bebel, ils ne voulaient plus revoir Belmondo. D'où un échec flagrant, qui est pour moi totalement immérité.
Car après tout, ce film là, les gens n'avaient pas envie de l'aimer, mais pour de mauvaises raisons. Parce qu'on "ne passe pas après Raimu". Certes. C'est un peu court. Car si la version de 1942 a son lot de qualités, elle reste quand meme assez bancale, et l'ennui vient pointer le bout de son nez durant une bonne partie du film. Et si l'oeuvre a su traverser les décennies, elle le doit surtout à la composition mémorable de son interprète principal, notamment un dernier quart d'heure exceptionnel, qui est un quasi one-man show totalement jubilatoire, où Raimu se réveille et défonce tout le monde sur des tirades d'une acidité et d'une noirceur hallucinantes signées H.G. Clouzot.
A côté de ça, si la composition de Belmondo n'atteint pas les mêmes sommets grandiloquents, je la trouve plus fouillée sur la durée, plus profonde, et le film s'en trouve mieux équilibré. Tout ne semble pas tomber du ciel tout cuit, certaines pistes sont évoquées, et si l'effet de surprise est moindre, la cohérence du récit s'en trouve renforcée.
L'inconvénient d'avoir de tels monstres à l'écran, c'est que cela eclipse facilement ceux qui leur font face. Et si les seconds roles "d'un certain age" sont campés par des personnages que l'on a souvent croisés chez Lautner ou Belmondo qui arrivent à donner le change, le casting des jeunes peut sembler un peu "transparent". Pour l'anecdote, on y croise par exemple des toutes jeunes Cristiana Reali ou Sandrine Kimberlain. Reste que cette lacune se trouve en partie compensée par les caractères des personnages, jeunes gosses de riche un peu dépassés par les évènements, et ce qui aurait pu etre un lourd handicap s'avère finalement passer plutot bien.
Reste à mettre tout ce beau monde en image. A une époque où le clip explosait, où le cinéma révolutionnait un tas de trucs, on a eu vite fait de qualifier de "téléfilms" tout ce qui ne se répandait pas dans une débauche d'effets, de travelling, de grue ou je ne sais quoi. Mais certaines histoires se suffisent à elle-mêmes, certains acteurs aussi. Georges Lautner n'a pas cherché à en rajouter et s'est appuyé sur une solide histoire et sur Belmondo. Gabin disait que les 3 choses qui font un bon film c'était "une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire". On peut trouver ça dépassé, d'un autre temps, moi j'aime ça. Et on a ça ici.
Alors voilà, ça peut sonner un peu vieux con, nostalgique, ou ce qu'on veut. Tout a un temps, les films comme ça aussi. Et en 1992, visiblement, ce temps là avait vécu. Et des cinémas comme celui de Lautner ou Belmondo, qui n'avaient eu tout au long de leur carrière comme seul refuge que le public, et bien sans lui, ils n'étaient plus rien. Restait alors à tirer la révérence, et à laisser une oeuvre qui restera. Et aujourd'hui, on peut les revoir, ici ou là, à la télé ou en DVD, et, avec une pointe de nostalgie, apprécier ce cinéma là aussi, qui parait 15 ans après dejà si loin, mais qui restera, à l'ancienne.