Omniprésente et multiforme au cinéma, la mise en scène de l’érotisme touchera différemment le spectateur en fonction de ses propres convictions, de son vécu et de sa perception de l’existence. Cathartique au quotidien, la sexualité possède une fonction similaire — quoique redoublée car littérarisée — au sein de la fiction. L’oeuvre de Tinto Brass, par exemple. (Apparentes) célébrations de la vie, du plaisir et des femmes, La Clef, Miranda, Transgressions ou Paprika relèvent selon moi d’une logique de conte de fées. Irréalité de cités (Venise, Londres...) où des filles évidemment jeunes et jolies s’adonnent sans contrainte aux joies du sexe; tel apparaît l’univers fantasmé par notre cinéaste et son public... homme (réduire le féminisme à un affranchissement sexuel revient à octroyer au sexe faible des envies davantage siennes

). Comme chez Pasolini et beaucoup d’autres d’ailleurs, l’érotisme acquière une portée politique non négligeable. Vu sous cet angle, l’idéalisme de Brass demeure extrêmement naïf. Faire du tabou, de la bienséance, l’UNIQUE cause des maintes problèmes posés par l’émergence, voire la concrétisation, du désir équivaut à développer une vision simplifiée, pour ne pas dire éducolorée du dit rapport. “Passez outre l’hypocrisie sociale et vous vous épanouirez pleinement” promulgue le réalisateur. Vulgarisé, l’hédonisme sous-tend une peinture réjouissante du plaisir comme objet d’une quête effrénée et, somme toute, fort aisée. Hymne aux sens, idéalisation de la chair, apologie des rondeurs (motif des fesses), la sexualité impliquera une vision naturellement contradictoire de la vie et des femmes. Contradictoire? Pas tant chez l’artiste que chez un spectateur qui, au fil des années, est parvenu à imposer au “maître” ses propres fantasmes. Exit les femmes de 40 ans ou "bourgeoises ménopausées" arborées par Superfly

... La jeunesse s’impose définitivement pour éluder l’impact du temps sur un corps complètement idéalisé. Célébrer la chair en niant ce qui la définit (sa matérialité) curieux paradoxe qui permet d’appréhender le Brass de ces dernières années comme une espèce de Walt Disney de l’érotisme. Versions gentillettes (un peu cul-cul tout de même) de la Grande bouffe (rapport à la chair) et d’Eyes wide shut (rapport au désir), les film de Tinto restent de véritables bijoux de légèreté, de frivolité; des bonbons acidulés qui possèdent le mérite de nous faire momentanément oublier l’inextricable et bien trop douloureuse parenté d’Éros et Thanatos. Cette dernière motive en revanche la plupart des oeuvres ou séquences érotiques proposées par le Septième Art. Désir sexuel et quête d’absolu s’entremêlent alors pour suggérer - et simplement suggérer - le “toujours plus”, l’au-delà d’un plaisir d’autant intense que frustré donc sublimé par l’instance spirituelle. Évidemment l’Amour (les mains de di Caprio sur les vitres embuées d’une voiture Titanic), son absence (corps ruisselant d’Anna dans le Silence de Bergman), la religion (Viridiana) et multiples composantes psychologiques entretenant l’inéluctable perversité de la relation (jambes de Deneuve dans Belle de jour, démarche de Baby Doll, voix lointaine et sensuelle de Jeanne Moreau dans Jules et Jim...). Cette interdépendance du plaisir et de la souffrance (L’empire des sens, l’oeuvre de Konuma...), du désir et de la culpabilité, du sexe et de Dieu nourrit chaque image de ce qui constitue, pour moi, l’un des plus beaux films sur le sujet: Le Narcisse noir
