
Le premier Batman, réalisé par Tim Burton, se présentait comme un film assez rigide, aussi bien sur son fond que sur sa forme. Il s'avérait pourtant assez sombre et violent, ponctué de ces touches d'humour noir chères à Burton, mais restait relativement statique dans sa représentation de l'homme chauve-souris, à l'image de son costume aux allures de statue figée dans le marbre. On sentait Burton, pour la première fois aux commandes d'un blockbuster, écrasé par le poids du matériau originel (Batman fêtait alors ses 50 ans). On devine que la présence de pointures comme Jack Nicholson et Jack Palance au casting ne l'a sûrement pas aidé à se détendre.
Il en résulte un film à la noirceur indéniablement proche du Batman créé par Bob Kane, mais qui semble constamment hésiter entre une forme destinée au grand public enfantin et l'ambiguïté d'un réalisateur fasciné par la poésie macabre. L'oeuvre est relativement fidèle, certes, mais peut-être un peu trop tant elle semble aligner les plans comme des cases, sans réels mouvements qui auraient permis de créer une dynamique visuelle.
Fort du succès commercial de Batman, Burton rempile et accepte de réaliser la suite, baptisée Batman Returns, comme une note d'intention en référence au Batman the Dark Knight Returns de Frank Miller. Et cette fois, il est en mesure de poser ses conditions.
Les premières minutes du film traduisent immédiatement la nouvelle voie choisie par le réalisateur : un couple bourgeois abandonne son enfant monstrueux dans les égouts de Gotham. Le générique du film suit alors le parcours du berceau, tel celui de Moïse sur les eaux du Nil, accompagné par la sublime mélodie de Danny Elfman. Ensuite, des années plus tard, le discours démagogique d'un politicien grotesque (je sais, ça fait beaucoup de pléonasmes) est interrompu par l'attaque d'une bande de freaks aux allures de clowns. En l'espace de dix minutes, Burton impose cet univers macabre et décalé qu'il peinait tant à retranscrire dans le premier film.
Pendant ce temps, Bruce Wayne est assis dans la pénombre de son manoir, quand le Batsignal vient se plaquer sur lui pour le sortir de sa torpeur. La référence au Dark Knight de Frank Miller et son Batman retraité est alors évidente. Après l'hommage à Bob Kane et Bill Finger, Tim Burton nous annonce donc que cette suite sera SON film, et qu'il s'inspirera d'une vision plus moderne de l'homme chauve-souris.
Batman Returns est un cas particulièrement intéressant de suite décomplexée. Curieusement, on retrouve souvent ce cas de figure dans la plupart des adaptations de comics dont les réalisateurs, frustrés par les limites imposées du premier opus (l'exposition du super héros et de son univers limite les excès), enchaînent ensuite avec le tournage d'un second opus afin de laisser libre cours à leur désirs personnels (cf. Spider-man, X-Men...).
Et cette vision personnelle, bercée par l'univers gothique et romantique de Burton, s'avère étonnamment sexy. Les références sexuelles pleuvent, surtout dans les rapports entre Batman et Catwoman, tous deux liés par une sorte de relation sado-masochiste imagée. Pendant ce temps-là, le Pingouin, personnage laid et repoussant, est relégué aux égouts de Gotham où il règne sur une armée de pingouins, exclu des jeux de séduction réservés à ces deux personnages qui, à la différence de lui, sont sexuellement attirants.
Le Pingouin, pendant de Burton, est donc le paria de l'histoire qui cherche, lui aussi, à être désiré et à rejoindre le monde des vivants, en surface. Pour cela, il décide d'utiliser la politique et de décrédibiliser son adversaire, le mâle opposant, une chauve-souris gracieuse et intimidante bien éloignée du pingouin, animal grotesque incapable de voler avec ses petites ailes : Batman.
De la même manière que le premier film, Batman Returns se révèle également cruel dans le traitement de ses personnages. Cruel et ambigu, complexe, car on devine une certaine affection de Burton pour ses monstres, ses freaks, là où le politicien ne trouve aucune grâce à ses yeux. Aucun romantisme, aucune poésie n'entoure ce personnage veule et manipulateur, à la différence de Batman, Catwoman et le Pingouin, presque tous sacrifiés sur l'autel des ambitions personnelles de ce politicien très terre à terre (qui, pour Burton, symbolise la société dans son ensemble, antithèse du monde underground où il se réfugie. D'ailleurs, il n'est même pas déguisé !).
Tout ce monde-là s'amuse donc, dans cette cour de récréation à ciel ouvert qu'est Gotham. La nuit venue on se déguise, on se provoque, on se séduit, et même le psychorigide Batman se laisse prendre au jeu face à la troublante et taquine Catwoman, jadis aussi coincée que lui avant qu'une chute ne provoque le déclic qui la fit sombrer dans le monde underground des geeks. Batman Returns est donc une sorte de grand jeu interdit entre personnes adultes et consentantes que la nuit excite, toute déguisées pour l'occasion. Qui est le maître ? Qui est l'esclave ? Batman et Catwoman ne cessent d'intervertir les rôles pendant que le Pingouin, qui souhaiterait être de la partie, les observe. Le contraste entre leur comportement de "civils" et de super-héros est d'ailleurs éloquent : très sages et réservés quand ils tombent le masque et qu'il fait jour, on les retrouve totalement déchaînés une fois leur costume endossé et la nuit tombée.
Mais ce jeu-là ne peut durer éternellement, et l'homme politique vient y mettre un terme après que le Pingouin, ayant compris qu'il ne pourrait jamais s'intégrer au monde des gens "normaux", décide de rejoindre son antre souterraine parmi sa famille de pingouins pour lancer une ultime attaque contre ce monde qui le rejette. Survient alors une scène qui aurait tout pour être grotesque, mais qui se révèle d'une poésie confondante lorsque les pingouins accompagnent le cadavre de leur ami, de leur frère, de leur père dans l'eau des égouts qui l'a jadis amené ici. Cette fois, la fête est terminée, et c'est Alfred qui vient rappeler Bruce Wayne à ses obligations en le ramenant au manoir.
Burton se permet toutefois une dernière note de poésie sous une Gotham enneigée aux allures de ville sous globe : un chaton se manifeste à Bruce Wayne, avant qu'un plan vertical ne remonte les immeubles de la ville pour nous montrer la silhouette de Catwoman, face à la lune. Et oui, les chats ont neuf vies...
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