L'oeuf du serpent - 1977 - Ingmar Bergman

[Manolito]

Titre américain : The Serpent's Egg
Titre allemand : Das Schlangenei

En 1923, Abel Rosenberg, un acrobate américain vivant à Berlin, découvre le cadavre de son frère après que celui-ci s'est tiré une balle dans la tête. De nombreuses autres morts étranges ont lieu dans la ville...

En 1977, Dino de Laurentiis et la compagnie allemande Rialto (la firme des krimis) offre à Bergman son plus gros budget, pour un film tourné en Allemagne, en langue anglaise, avec une distribution internationale. Comme beaucoup de films à l'époque (Les damnés, Cabaret, Le tambour, Despair...), il s'inscrit dans l'entre-deux guerre, dans un Allemagne en crise, entre cabarets, expressionnisme et crise profonde (crises économique, religieuse, individuelle, économique...).

De prime abord, Bergman étonne en s'inscrivant pour l'occasion dans le sillage de Fritz Lang, et tout particulièrement dans la tradition des Mabuse et de M le maudit (on parle même de l'Inspecteur Lohman, le héros de M...). Malheureusement, après un début intriguant, Bergman se perd un peu, passant beaucouop de temps à décrire le chaos de la société allemande de façon parfois redondante, perdant de vue son suspens. Un peu de gore par-ci, un peu de cul (légèrement) trash par là (la scène chez les prostituées), un peu de savant fou... Le sujet profond du film n'arrive en fait que dans les 20 dernières minutes, assez fascinantes. Bergman est passé à côté d'un grand film, mais il nous offre une curiosité, interprétée par David Carradine !

En tout cas, un titre pour les fans d'Alexander Witt, qui est ici assistant cameraman !



Vu sur le DVD français MGM qui propose le film dans une copie 1.66 (4/3) avec version anglaise (mais pas le doublage français) et sous-titres français. DVD correct, mais pas transcendant. En plus les suppléments du MGM américain se sont perdus en traversant l'Atlantique (featurettes, commentaire audio de David Carradine...), ce zone 2 ne proposant aucun bonus !

[mercredi]

“L’Oeuf du serpent” constitue une excellente surprise, surprise au regard des opinions souvent fort mitigées émises de ci de là. Clairement apparenté aux oeuvres portant sur le même thème (série des Docteur Mabuse), ce tableau sociologique du Berlin de la République de Weimar revient ainsi aux sources du nazisme en mesurant toute la détresse économique, psychologique, voire même spirituelle, des citadins contemporains. A priori banal, l’état des lieux admet également une métaphore plus inédite car inhérente aux obsessions de l’artiste. D’abord politique, la perte des repères sous-tend une dimension métaphysique où l’abandon de Dieu, la culpabilité et le péché concomitants motivent une très belle allégorie d’une Chute d’autant désespérée qu’exempte de rédemption. Le thème de la ville babylonienne (inoubliable scène des deux prostitués) soumet le paysage urbain à maints motifs (cabaret, ruelles désertes, clochard...) pour octroyer aux déambulations du personnage une signification précise. L’Apocalypse n’est pas loin et comme le serpent qui apparaît à travers la coquille fine de l’oeuf, le Mal subodoré ici, suscite une peur insoutenable. Car “L’Oeuf du serpent” évoque l’angoisse universelle d’un Homme toujours enclin à découvrir sa propre faiblesse; limites des idéaux devant l’appel du ventre, de la vertu devant quelques billets, de la maternité ou de l’amour dans un laboratoire scientifique. Abandonné de Dieu, l’être humain tenta se s’y substituer en se réinvestissant d’une pureté toute illusoire... avec les conséquences que l’on connaît.
Bergman était décidément un maître.