MadXav a écrit : Martyrs est donc vraiment un trip dans lequel on entre à fond ou on entre pas du tout...
Tout à fait. Mais pourquoi certains y sont parvenus et d'autres moins?
En effet, le film de Pascal Laugier projette de nous faire réfléchir sur la situation et la fonction attribuées aux martyrs par notre monde moderne. Ce dernier subvertirait la signification théologique de la figure en lui enlevant la possibilité d’échapper au sort qu’il lui réserve. Contrairement à ses homologues bibliques et historiques, Anna n’a d’autre choix que d’endosser son rôle sacrificiel. Clairement posée, la charge politique amoindrira l’enjeu philosophique du thème (notamment la perspective masochiste) sans l’éluder pour autant (la souffrance imposée permet à la femme de s’éloigner du monde terrestre, de se dépouiller de son enveloppe charnelle). C’est tout de même un peu dommage mais pourquoi pas...
Ce parti pris ne pose a priori aucun problème si ce n’est un petit soucis de point de vue. En effet, il reste très difficile de s’identifier à un être explicitement envisagé comme “exceptionnel”. À ce titre, le métrage refuse de nous faire vivre totalement l’extase; la chose me paraît logique. La plupart des oeuvres portant sur le sujet paraient à cette difficulté en laissant le spectateur s’immiscer dans une espèce d’interstice, espace à partir duquel il nous était possible d’éprouver insidieusement les tourments du protagoniste. La petite héroïne du “Labyrinthe de Pan” suscite la sympathie non via l’identification totale mais en faisant surgir chez nous certaines hantises enfouies (une innocence certes entachée mais pas complètement perdue). Le tiers peut également prendre la forme d’un personnage “témoin” comme Frederick Treves dans “The Elephant man”. D’autres exploitent notre statut de spectateur et jouent sur la portée évocatrice de l’image. Cette dernière soumettra le pathos à l’érotisation du corps martyrisé pour stimuler quelques pulsions (fameuse association d’Eros et Thanatos) et générer notre fascination (certains films de Bunuel mais également la plupart des représentations picturales dont celles, fameuses, de Saint-Sébastien ou la célèbre “Extase de Sainte-Thérèse” (Le Bernin).
Dans tous les cas, l’identification s’effectue de manière indirecte, biaisée, rencontre d’abord fondée sur une convergence de sentiments / pulsions primaires de fait sacralisés, voire sublimés. Pascal Laugier octroie à l’amour fou un rôle similaire qui a touché maints chanceux. Ce n’est malheureusement pas mon cas après une projection supplémentaire.