Tourné à 15 jours d'intervalle de Chair pour Frankenstein, Du sang pour Dracula porte toutes les stigmates de Paul Morrissey même s'il fut comme pour Chair.. aidé d'Antonio Margheriti pour toutes les séquences sanglantes et à effets spéciaux tandis que l'ombre d'Andy Warhol planait derrière Morrissey.
Du sang pour Dracula est avant tout une oeuvre artistico-politique qui tend à malmener et même briser avec une ironie parfois lourde le célèbre mythe du vampire. Il nous montre un Dracula agonisant, rachitique et pathetique, un être déchu prêt à tout pour rester en vie dans une societé contemporaine où la pureté et l'innocence sont corrompues voire en voie d'instinction y compris en Italie, pays aux moeurs pourtant rigides et à la morale inébranlable que Dracula choisit donc comme terre d'exil pour se trouver une jeune vierge.
Sur cette base, Morrissey signe un film cahotique et épars mais hautement jouissif si on le prend pour ce qu'il est: une oeuvre d'exploitation.
Du sang pour Dracula est un film qui surprend d'une part pour son epurement visuel. Les décors sont assez minimalistes et le rythme très lent ce qui risque de déplaire à tout ceux qui s'attendaient à voir un film sanglant et haut en couleur dans la lignée de Chair pour Frankenstein.
On lorgne ici plus vers une tentative de cinéma d'art et essai qui mélange avec désinvolture vampirisme, gore, érotisme et satire sociale car Du sang pour Dracula est avant tout une sévère critique sociale comme Morrissey aime en livrer.
Et c'est là que le bât blesse car le film s'égare dans tous les sens et la réalisation est confuse. Morissey donne ici sa vision du capitalisme, du communisme et de la lutte des classes, tentant maldroitement de comparer le vampirisme au capitalisme qui se nourrit du peuple et de ses ressources.
Encore plus vicieux, il s'attaque aussi à l'aristocratie et la bourgeoisie sans pitié car cette fois Dracula, desespéré et mourant est prêt à s'attaquer à sa propre classe aujourd'hui depossédée de ses biens- son château est vide- et qui vit desormais repliée sur elle même jusqu'à s'adonner à la consanguinité pour pouvoir survivre.
Le tableau est donc des plus sombres et Dracula démuni de tout pouvoir surnaturel n'est plus que le portrait de cette décréptitude sociale.
Les serviteurs semblent également prendre le dessus, classe inferieure mais de plus en plus importante incarnée ici par le personnage de Mario qui devance à chaque fois Dracula dans sa quête en volant la virginité de ses proies. Le peuple a pris le pouvoir et écrasé l'aristocratie, il n'y a plus aucune hierarchie pas même de maitre à valet.
Le peuple tue l'aristocratie symbolisée ici par un Dracula pitoyable vomissant ses entrailles au dessus de la cuvette des toilettes après avoir bu du sang impur ou contraint tel un animal à lécher sur le sol les quelques gouttes de sang des menstruations d'une vierge à peine déflorée


Ce sont là deux des séquences les plus marquantes du film et les plus symboliques, magnifique representation de la destruction d'un mythe et de la décadence d'une classe.
Morissey va encore plus loin pourtant dans sa démonstration, montrant qu'il n'a pas plus de compassion pour les hautes classes sociales que pour les basses. Faucille et marteau sont bafoués en rouge, symbolisant l'aneantissement de l'idéal revolutionnaire qui tua la bourgeoisie tandis que c'est le serviteur qui detruira Dracula, dupé par les siens et jouet de fausses vierges, en le demembrant à la hache lors d'un final haut en couleur.
C'est d'ailleurs là le seul moment réellement gore du film où on retrouve tout le panache d'un certain cinéma d'exploitation transalpin, climax sanglant qu'on doit à Margheriti et qu'on retrouve également lors des deux scènes où Dracula vomit le sang qu'il vient d'ingurgiter, jets d'hémoglobine dégoulinant de ce corps chétif pris de spasmes mortels.
L'érotisme assez poussé là encore tente de démontrer une fois de plus la décadence aristocrate. Les bourgeoises sous le vernis de leur rang ne sont que des catins prêtes à s'adonner aux pires vices y compris avec le bas peuple tant qu'elle connaissent la jouissance, le sexe et l'argent n'étant que le moteur de leur vie.
Elles ne sont que des catins et en sales catins elles sont traitées (Suck bitch). Morrissey dépeint avec un certain cynisme un véritable tableau de stupre où se mèlent inceste et saphisme

Obnubilé par le coté social et satirique, Morrissey en oublie malheureusement le réalisme. Du sang pour Dracula outre cette réalisation éparse et désordonnée, souvent maladroite, cet amoncellement de critiques, souffre de son coté épuré et minimaliste qui donne au tout un coté parfois stupide ce qu'une interprétation outrancière n'arrange pas, faisant pencher l'ensemble par instant vers le comique. Mais ce comique noir malheureusement ne fonctionne pas toujours comme il devrait.
Faute là encore en incombe à une réalisation qui ne va pas jusqu'au bout de son objectif et reste une fois de plus brouillon.
Malgré ce coté épuré, le film est esthétiquement très beau et tente par instant de se rattacher à un certain cinéma gothique italien.
Pourtant Du sang pour Dracula de par son coté satiriquement jubilatoire en fait une oeuvre attachante et hautement délirante qui fera le plaisir des amateurs de cinema d'exploitation, une oeuvre en tout sens monstrueuse dans le plus sympathique sens du terme, merveilleuse et réussie illustration de la déchéance et de la décrepitude.
Les amateurs de décrepitude humaine comme Eric trouveront donc le film hautement jouissif.

On retiendra l'interprétation sublime de Udo Kier à la fois fragile, pathétique, grotesque mais aussi pervers tant et si bien que le pauvre Dracula qu'il incarne nous est attachant. Il est la force de ce film. Et Udo est beau comme un Dieu, hypnotique comme un vampire. Ah se faire sucer.. quelques litres de sang.. par le bel Udo!!




A ses cotés, on retrouvera le toujours et malheureusement statique Joe Dallesandro, l'icone gay warholienne ici plus souvent nu qu'habillé


On remarquera les apparitions de Vittorio De Sica dans la peau du marquis et Roman Polanski en cameo.
Le corbeau depuis longtemps défloré et guère altruiste qui se repait de la déchéance humaine.
