Turin, 1925. Un pauvre ère est arrêté pour vol de vase dans un cimetière. Incapable de décliner son identité à la police, l’homme est interné en asile psychiatrique. Suite à la publication de sa photo dans un journal local, une femme de la grande bourgeoisie turinoise se présente aux autorités en déclarant reconnaitre le mystérieux amnésique. Il s’agirait de son mari, le riche professeur Giulio Canella.

Inspiré d’une célèbre affaire judiciaire italienne de la fin des années 20, Uno Scandalo perbene est la quarante deuxième et ultime réalisation de Pasquale Festa Campanile. Produit en collaboration avec la chaîne italienne RAI 2 et présentée à la télévision un an après sa sortie dans une version rallongée de près de 170 minutes, elle marque ainsi la conclusion d’une filmographique exceptionnellement riche, d’une courageuse ouverture d’esprit dans sa volonté d’associer la grande comédie à l’italienne à des sujets souvent scabreux, à première vue davantage tournés vers le cinéma dit d’exploitation.
Pour son dernier tour de piste, Festa-Campanile abandonne le registre de la farce psychanalito-sexuelle dans laquelle il s’était si brillamment illustré dans les années 70, via des œuvres telles que Ma Femme est un violon, En 2000 il conviendra de bien faire l’amour ou Il Corpo della ragassa, pour une chronique d’époque nettement moins corrosive dans le ton et les images. On retrouve toutefois bien au cœur de ce Scandalo perbene l’une des préoccupations principales de son cinéma : l’analyse des rapports entre hommes et femmes, en particulier dans leur relation de couple, rapports parfois décortiqués dans ses aspects les plus complexes, voire les plus inconscients. Car au delà du suspense lié à l’identité du personnage principal ou de la peinture sans complaisance de la bourgeoisie italienne de l’ère fasciste, ce qui semble intéresser Festa Campanile en priorité ici est cette étrange liaison, à la légitimité tournant au débat publique, entre Giulia Canella et ce mystérieux amnésique, elle bourgeoise en mal d’amour, aussi bien physique que cérébral, depuis la disparition de son mari à la guerre quelques 12 ans plus tôt, et lui possible dissimulateur un peu rustre, à la froideur justifiée par sa probable amnésie.
Ecrit par Suso Cecchi D’amico, une vieille connaissance de Festa-Campanile - tous deux avaient notamment participé à l’écriture de Rocco et ses frères et du Guépard de Visconti plus de 20 ans auparavant – Uno Scandalo perbene est une œuvre indéniablement ambitieuse dans son contenu, à la fois étude d’une époque, d’un milieu socio-géographique bien précis – la grande bourgeoisie de l’Italie du nord - et d’une liaison amoureuse ambigüe. Mais une œuvre qui, dans sa forme cinématographique de 99 minutes, laisse aussi quelque peu le spectateur sur sa faim, allant forcement à l’essentiel au détriment d’un développement totalement satisfaisant de son sujet. C’est d’autant plus rageant qu’à travers ce que l’on nous laisse entrevoir ici on imagine sans difficulté une œuvre autrement plus dense, plus fouillée dans sa version longue. A noter qu’il semble également exister une version entre-deux … enfin plus proche de celle commentée ici que de celle de près de 3 heures … tournant autour des 115 minutes.
Dans la forme le film n’atteint sans doute pas le raffinement visuel des travaux d’époque de Bolognini ou Bertolucci, auxquels il peut parfois faire penser. C’est moins luxueux, moins travaillé, et le résultat ne peut totalement renier ses racines télévisuelles à ce niveau. Mais Festa Campanile n’a jamais été un grand formaliste – du moins je n’en ai pas l’impression, à la lumière de ce que je connais du bonhomme – et comme d’habitude la force de sa mise en scène repose plutôt dans l’acuité de son regard, rarement complaisant (cf. ici les quelques séquences à l’hôpital psychiatrique). A noter par ailleurs, histoire de pinailler un peu, un joli travelling loupé à la cinquième minute du film, avec les rails qui apparaissent en bas à gauche de l’écran (problème de format de copie ?).
Ben Gazzara, énigmatique à souhait, et la belle Giuliana De Sio, dans un rôle complexe de femme fragile mais déterminée, forment un couple assez troublant. Ils sont entourés de quelques représentants de la vieille garde du cinéma italien, Vittorio Caprioli et Franco Fabrizi en tête, dans des rôles malheureusement légèrement sacrifiés (du moins dans cette version digest). On reconnait également dans le rôle d’une prostituée, que le montage cinéma du film semble avoir lui aussi drastiquement réduit, Valeria D’Obici, précedemment l’objet de toutes les attentions de Bernard Giraudeau dans le très beau Passion d’amour d’Ettore Scola.
Le film est disponible en DVD Zone 2 chez l’éditeur italien 01 Distribution. La copie proposée, au format 1.66.1 avec option 16 :9, est tout ce qu’il y a de plus convenable. Côté audio, nous sont proposés pas moins de 4 pistes, 3 en langue italienne (Italien 2.0, Italien 5.1 Dolby Digital, Italien DTS … ça c'est pour ceux qui y comprennent quelque chose) et une en anglais (Anglais 2.0). La possibilité d’accompagner tout ça de sous-titres italiens pour malentendants est également au programme de la galette. Quant aux maigres extras de l’édition, ils incluent une galerie de photo d’un peu plus de 3 minutes, 3 filmographies déroulantes, de Ben Gazzara, Guiliana De Sio et – nettement plus surprenant – de Vincenzo Crocitti, illustre inconnu ayant apparemment dans sa carrière de troisième couteau plusieurs films en commun avec Gazzara dont – plus étrange encore – Anatomy of a murder de Preminger, où il interprète d’ailleurs le même rôle que Gazzara. Bref, pas très pro tout ça … et pas à la hauteur d’une œuvre très intéressante, parmi les plus rigoureuses de son auteur ... même si on peut lui préférer les travaux plus personnels, plus provocateurs du Festa Campanile de la décennie précédente.