Tire de l’oeuvre de Maurice Renard, l’un des premiers recit—sinon le premier—qui traite de “membres fantomes”, “maudits” ou “animes d’une vie qui leur est propre”, ML ne sera cependant pas la premiere adaptation du recit de l’auteur—ni la derniere d’ailleurs.
Ainsi, en 1924, le muet et autrichien Orlac’s Haende donnera a Konrad Veidt le role-titre du pianiste maudit. Suivra ensuite le present ML (1935), puis Hands of Orlac (1960) avec Mel Ferrer dans le role-titre, ensuite Hands of a Stranger (1962) ou Orlac brillera par son absence tant au niveau du titre que de la distribution des roles (!)—certains semblent d’ailleurs en dire autant du scenariste et du realisateur(!)

Dans le sous-genre des membres rebelles et animes de mauvaises intention, le cinema fantastique aura entre-temps encore genere The Beast with Five Fingers (1946) et The Hand (1981). Pour l’instant les mains de notre pauvre artiste semblent avoir trouve le repos(?), mais gageons que peut-etre un jour, elles reviendront hanter les ecrans d’une nouvelle symphonie de terreur…
Mad Love, adapte de “Les Mains d’Orlac”, roman fantastique francais, sera teinte de nombreuses references a une certaine vision de l’horreur telle que pratiquee en France ou plus generalement en Europe a l’epoque.
L’histoire est bien sure francaise a la base, tandis que l’actrice principale evolue dans une version a peine deguisee du “Grand-Guignol”, eternelle victime vouee a toutes les tortures et atrocities.
Le personnage de Peter Lorre, le Dr. Gogol, qui au premier abord semble renvoyer aux Mad “Scientist” ou Mad “Doctor”, est en fait un personnage nettement plus moderne qu’il n’y parait, et dont la folie tient moins aux experiences qu’aux relations avec autruit.
Ainsi, Lorre approche son role avec le meme cote decale et sociopathe qu’il le fit dans “M” (1931) de Fritz Lang, sauf que cette fois-ci, moins qu’un malade qui ne se controle pas, il est un medecin aux deux visages; ange de misericorde pour les plus demunis, mais aussi possedant un interet des plus malsains envers la mort et la souffrance sous toutes ses formes, ce qui a nouveau nuancerait fortement son devouement envers les les deformes et les autres ronges par la maladie.
Son facies rondouillard et bonhomme (bon enfant, peut-etre?) etait parfait pour interpreter ce role, nouvelle variation (après “M”) de l’enfant sommeillant dans le “monstre”, ou monstre au caractere d’enfant, et ainsi quelque part “au-dela du bien et du mal”…
Colin Clive, deja aureole de son interpretation dans Frankenstein (1931) et Bride of Frankenstein (1935), jouera le role de l’artiste “maudit”, artiste de talent dont la trajectoire sera brisee en plein vol par un accident, et dont la vie sera sauvee, mais au prix du remplacement de l’ame (les mains) par une autre “ame”-corrompue, celle-ci.
Frances Drake dans le role de l’epouse livre egalement une excellente prestation dans le role de l’actrice degoutee par Gogol, l’homme, mais egalement epouse prete a tout pour sauver son mari, quitte a manipuler Gogol, le chirurgien de genie, mis homme instable...
ML est donc un film dont l'avant-gardisme, mais egalement la modernite le mettent a part dans les productions des annees 30s, tres marques par un classicisme et tournees vers le passe d'une facon ou d'une autre, que cela soit de par le contexte des oeuvres ou de par la date de parution de l'oeuvre originale sur laquelle elles sont basees (p.ex. Dracula (1931) / Bram Stoker / 19eme siecle, Frankenstein (1931) Mary W. Shelley / 19eme siecle, The Invisible Man (1933) H.G. Wells / 19/20eme siecle, Island of the Lost Souls (1932) H.G. Wells / 19eme siecle, Dr. Jeckyll and Mr. Hyde (1931) R.L. Stevenson / 19eme siecle, The Mummy (1932) restera certes un film "original", mais dont le "monstre" quant a lui, est plusieurs fois millenaire(!) ).
Quelque part, avec beaucoup d’avance, ML annoncera ainsi deja les obsessions et le fetichisme de Norman Bates dans Psycho (1960) et la fascination de la violence (les allusions au Grand-Guignol, ainsi que la fascination des handicappes ou deformes), fascination qui ira jusqu'au passage a l'acte dans Peeping-Tom (1960).
Il est a cet egard, interessant de noter l'apport allemand a l'entreprise, ce par le truchement du realisateur (Karl Freund), ainsi que par l'un des acteurs principaux (Peter Lorre), ce dernier sera egalement en haut de l'affiche avec l'egalement sinistre et resolument contemporain "M" (1931) de Fritz Lang, un film, justement...Allemand!
L'on pourrait egalement noter, le retour sur le sujet que sont les "monstres parmi nous" qu'effectueront les allemands plus tard avec egalement "Nachts, wenn der Teufel kommt" (1957) ou "Es geschah am hellichten Tag" (1958). Un apport plus indirect, pourrait egalement etre "Le Vampire de Duesseldorf" (1965), film francais soit, mais retracant l'odyssee sanglante d'un monstre "humain"...allemand...
Le realisateur, Karl Freund (The Mummy), se montre a nouveau tres a l’aise dans cette production fantastique essentiellement basee sur la dramatique humaine dans ce qu’elle a de plus extreme comme dans p.ex. son precedent The Mummy. Si TM etait avant tout l’histoire d’un amour-fou, defiant les siecle, cette fois, l’amour-fou defiera la morale encore plus que le rationel.
Au passage, Freund s’attaquera a un certain voyeurisme dans la societe, voyeurisme enimament represente par les obsessions du “bon” Dr. Gogol et ses visites au “Theatre des Horreurs”, mais egalement par le metier de Rollo l’assassin (un lanceur de couteau dans un cirque), des executions publiques que representait la guillotine a l’epoque, la couverture mediatique a tendance sensationnaliste de ces dernieres ou des mannequins de cire hantant les galleries de sinistre memoire.
Si quelque part, Freaks de Browning s’attachera a depeindre les “monstres (de foire)”, Mad Love s’interessera quant a lui a leur public.
Les decors dans lesquels se deroule l’intrigue tiennent de l’expressionisme allemand, laissant evoluer les personnages “maladies” dans des environnements “maladies”, tandis que le deguisement, revetu par Lorre, renverra aux horreurs medicales et gueules cassees heritees directement de la premiere guerre mondiale.
La dimension psychologique, la qualite de l’interpretation et la mise en image savante et soignee font de ce film, pourtant rare, un incontournable du fantastique, car de par ses qualites intrinseques et ses qualites formelles, ML represente sans doute, la plus "belle" representation de l'"Amour Fou" en "general", et "fantastique" en particulier. Quelque part, le pendant "adulte", "veneneux" et "pervert / corrompu" de "La Belle et la Bete". Un "La Belle et le Monstre", en somme...
A noter aussi, que ML sera le dernier film de Freund en tant que realisateur, comme si ce dernier avait raconter tout ce qu'il avait a dire...
A voir, tout simplement!
Mad Love : 5 / 5