Des les premieres minutes, le film reussit a mettre mal a l’aise, et ce, simplement de par la presentation commerciale d’un immeuble a appartements en location. Isole sur une ile, offrant a ses occupants une complete autarcie, quelque part ce manque de presence humaine, cette distentiation fait froid dans le dos. La scene de la lutte qui suivera immediatement renforce encore cette impression. La lutte, l’envie de survivre, le meurtre qui brisera ce desir, et le suicide qui suivra dans la foulee. Tout cela sans que personne ne le remarque. Sans que personne ne l’empeche. Apres cela, impossible de voir cet immeuble autrement qu’a travers un prisme froid et inhumain.
Pour son premier film, il est d’emblee clair que David Cronenberg ne fait pas dans le large public. Toutes ses obsessions (du moment et a venir) y seront reunies : transformations physiques et mentales, idees medicales “revolutionnaires” mais “inquietantes”. Obsessions qui feront de lui un maitre de l’angoisse de la maladie, celle qui genere en chacun de nous la peur que quelque chose ne « va pas », meme si ce « quelque chose » prend des dimensions extremes chez Cronenberg. Encore plus inquietant est l’idee meme de se rendre chez un docteur et de s’entendre dire exactement ce qui ne va pas.
Si dans Shivers, le but du jeu etait de generer une impression de malaise, malgre ou peut-etre aussi « grace » au budget que l’on devine ridicule, l’effet est indubitablement atteint. Malgre les performances TRES moyennes d’un casting d’illustres inconnus, des sfx plus (moins?) que cheap, une mise en scene qui se cherche encore, qui de plus est, une mise en scene plombee par des declarations apparemment reprises in-texto d’un livre sur la sexualite de l’epoque qui ponctuent le metrage.
A ce niveau, Cronenberg semble avoir a l’epoque ete tres marque par la revolution sexuelle de la fin de la decennie precedente et Shivers est de cette periode le film le plus marquant et portee sur la « chose ». Meme, si bien sur, le « jouissez sans entraves » prend une toute autre dimension avec Cronenberg.
Comme avec Rabid (1977) son deuxieme long-metrage, l’argument de base de l’intrigue n’est pas exempte de « lacunes » dans le scripte, notamment concernant le « comment » du developpement du virus et du « pourquoi » du meurtre du debut du film.
Ce qui rattrape sans probleme son film, est son jusqu’en-boutisme ; l’etallage d’orientations sexuelles (perversions et deviations inclues), le design on ne peut plus phallique du virus, mais surtout sa reduction de l’etre humain a ses phantasmes et pulsions sexuels. Cette « mise a nu » a tendance a mettre mal a l’aise, car elle rend vulnerable. Si en plus l’homme voit ses phantasmes rendus publiques, le corps nu et gangrene de l’interieur par la maladie (sexuelle), le tableau clinique est bel et bien complet pour le spectateur lambda.
De part ses audaces, les films de Cronenberg allait faire sortir a l’instar d’autres realisateurs de cette epoque, l’horreur des chateaux medievaux, des forets profondes et autres maisons hantees pour les faire rentrer dans le quotidien ou dans un certain quotidien du moins.
Shivers peut avec du recul etre considere tant comme une reviste moderniste et extremiste de la contamination vampirique, qu’un film pre-datant l’epidemie du Sida d’une decennie. Sur ce dernier point, l’on ne peut qu’esperer que les propheties qu’ose Cronenberg resteront des phantasmes infondes. Pour notre bien a tous...
Sur une note plus legere, il est marrant de voir que le couple-vedette parait tres frigide parmi un casting on ne peut plus echauffe

A voir, pour assister a un film dont l’audace ne s’est jamais dementie en presque 40 ans.
Shivers : 3.5 / 5