Les années 60 ont été, à bien des égards, marquées par le sceau de la contestation. Un an après les événements de mai 68 qui ont bouleversé la France, cinq réalisateurs, quatre italiens et un français, tentent de faire, à leur manière, le bilan d'une décennie d'agitation. Carlo Lizzani évoque ces années en se tournant vers New York, tandis que Bernardo Bertolucci s'interroge sur la mort du théâtre. Pier Paolo Pasolini s'exprime par le biais du surréalisme en évoquant un homme sur le point d'exécuter une fleur en papier à Rome, tandis que Jean-Luc Godard met en abîme le regard du spectateur. Enfin, Marco Bellocchio met en scène la lutte de quelques étudiants contre l'establishment au sein d'une université ...

Produit par Carlo Lizzani, qui assure la réalisation du premier segment, Amore e rabbia réunit au moins 4 grands noms du cinéma contestataire italo-français de la fin des années 60 : Bernardo Bertolucci, Pier Polo Pasolini, Marco Bellochio et notre Jean-Luc Godard national.
« L’indifferenza » : Effrayante vision de l’Amérique des grandes citées, où peut se faire agresser ou agonir un moment sur le bord de la chaussée dans l’indifférence générale, et même lorsque la police vient vous porter secours, c’est pas gagné pour autant parce que vous n’êtes pas encore arrivé à l’hôpital ... Le plus classique dans son écriture, le moins ouvertement politique et sans doute le moins subtil des 5 sketchs, dans lequel on retrouve cette phobie lizzanienne des grands ensembles urbains broyeurs d’individus, déjà ressentie de mon côté dans les 3 autres films de lui que j’ai vu (Storie di vita e malavita, La casa delle tappeto giallo et Cause à l’autre). Ici on retiendra le jeu anxieux de Tom Baker (un p’tit gars de la Factory de Warhol, qui ressemble à Michael Sarrazin) et l’efficace réalisation semi-documentaire de Lizzani, anticipant dans la forme et le sujet les travaux d’Antonioni sur Zabriskie Point, de Scola (Permette ? Rocco Papaleo) et Loy (Sistemo l’America e torno).
« Agonia » : Pas entièrement convaincu par ce second sketch, signé Bernardo Bertolucci, un gros délire post-soixante-huitard dans lequel une bande d’hippie s’agitent autour d’un vieux agonisant (Julian Beck, from Poltergeist II fame !) au milieu d’un appartement à la déco plutôt austère (le « twist » de fin, lié à l’identité du mourant, vient expliquer la sobriété des lieux). Les revendications / aspirations de la jeunesse de l’époque sont visiblement au centre de ce récit filmé majoritairement en plan fixe et plan-séquence, mais j’avoue avoir trouvé le discours général peu clair et noyé plus que renforçé par l’approche quasi-expérimentale de Bertolucci. Attention, on est loin de Stealing beauty ici …
« La sequenza del fiore di carta » : où l’on suit les déambulations du jeune Riccetto dans les rues animées d’une grande citée italienne avec, surexposé à ce fil conducteur, des images d’archives de conflits armés (dont celui du Vietnam). Un peu moins prétentieux que le Bertolucci mais à peine plus limpide dans le message en ce qui me concerne. Clairement pas ce que j’ai vu de plus pertinent de la part de Pasolini.
« L’amore » : Cet épisode réalisé par Jean-Luc Godard est un curieux mélange de romance (à la Godard, précisons) et de politique, nettement plus ludique dans le ton que les précédents segments. Mise en scène constamment inventive dans la forme (avec des cadres souvent magnifiques) comme dans le fond (cf. ces personnages des témoins du couple qui commentent le film en direct). Là encore je trouve que ça manque de profondeur et de construction au niveau de la réflexion, mais l’originalité du traitement et la beauté de Catherine Jourdan font oublier cette absence de véritable substance.
« Discutiamo, Discutiamo » de Marco Bellochio et Elda Tattoli : Encore un concept original que cette recréation dans une salle de classe d’une confrontation entre un mouvement étudiant et l’autorité en place (universitaire puis policière), le tout interpété par des étudiants romains, acteurs amateurs. Peut-être la mieux tenue des 5 histoires dans son discours, avec un petit côté farce qui conclue l’ensemble d’une bien étrange manière, sur une sorte de constat d’échec apaisé.
Diffusé actuellement sur CinéCinéma auteur, en VM (avec une phrase sur 3 sous-titrée si vous optez pour la version originale). Titre français : La Contestation.