Dieudonné Ferchaux (Charles Vanel) un banquier en proie avec la justice doit fuir la France, afin de s'installer en Amérique. Il engage alors Michel Maudet (JP Belmondo) un boxeur raté comme chauffeur et garde du corps, et entretient avec ce dernier des rapports violents et étranges.
Troisième et dernière collaboration entre Melville et Belmondo, curieux film que cet "Ainé des Ferchaux". Adapté d'un roman de Simenon, c'est initialement Alain Delon qui avait été interessé par ce rôle complexe et intriguant de Michel Maudet. Mais suite à son desistement, le projet est arrivé dans les bras de Melville qui n'a pas hésité à prolonger sa collaboration fructueuse (tant artistique que commerciale) avec Bebel. Pour la petite histoire, Melville souhaitait engager Spencer Tracy dans le rôle de Ferchaux, mais ça n'a pas pu se faire pour une histoire d'assurances, l'acteur américain étant déjà assez malade à l'époque. On peut regretter cet aléa, néanmoins Vanel reste un acteur très solide et très convaincant en vieux milliardaire abandonné de tous. A noter que comme ce fut souvent le cas sur les tournages de Melville, Vanel et lui n'ont pas entretenu les meilleurs rapports du monde sur le tournage. Mais comme pr Ventura ou Gian Maria Volonte plus tard, le résultat à l'écran ne s'en ressent pas une seule seconde.
Avec "Deux hommes dans Manhattan", "L'ainé des Ferchaux" est le second film à prendre à bras le corps et de manière frontale la passion de Melville pour l'Amérique, en faisant se dérouler le film là-bas. Néanmoins, si l'un a été tourné en grande partie à New-York, la grande majorité de "L'ainé des Ferchaux" a été filmé en France. Seules les scènes de New-York furent tournées à la va vite sur place, sans Vanel ni Belmondo. Cependant, le soucis du détail Melvillien fonctionnant toujours à plein régime, il n'a pas hésité à repeupler les routes du Sud de la France de voitures américaines lors du tournage, et la crédibilité est totale.
"L'ainé des Ferchaux" est un film assez bancal. On n'a pas affaire à un modèle de narration, mais plutôt à une captivante étude de caractères. En effet, si le personnage de Dieudonné Ferchaux, bien que riche, reste dans une certaine tradition droite et figée, celui de Michel Maudet est peut-être un des plus complexes de l'univers melvillien. Tour à tour boxeur raté, amant déserteur, secrétaire admiratif, puis magouilleur de première, il ne cesse jamais d'évoluer et de provoquer des sentiments divers chez le spectateur. Et sa relation avec Ferchaux ne cesse ainsi jamais d’évoluer, le dominant devenant progressivement dominé. A ce titre Melville déclarait que ce film était bien plus une méditation sur la solitude qu’une méditation sur la vieillesse. Ferchaux éxilé n’a plus que Maudet, en qui il se reconnaît volontiers, et il ne supporte pas de voir ce dernier lui échapper. La dimension homosexuelle de leur relation était également soulignée par Melville, en tant que simple spectateur, je la trouve moins évidente, même si elle est indéniable.
Film d’hommages, « L’ainé des Ferchaux » l’est également, ils sont multiples et parsèment le film. De la phrase hommage à Melville l’écrivain (le film commence par « Je m’appelle Michel Maudet, mettons » à la manière du personnage d’Ismael dans « Moby dick ») à la citation directe de « Nous avons gagné ce soir » de Robert Wise, en passant par l’inspiration déclarée de Howard Hugues pour le personnage de Dieudonné Ferchaux ou encore le passage devant la maison de jeunesse de Sinatra à Hoboken, c’est un cri d’amour à une certaine Amérique que Melville nous livre.
Au final, on a un film bancal, mais terriblement humain. Certains reprochent à Melville la froideur des héros du « Samouraï » ou du « Cercle rouge », ils trouveront peut-être plus leur compte dans une œuvre comme celle-ci. Adaptation certes, mais film éminemment personnel avant tout, un beau film mineur en quelque sorte.
Pour l’anecdote, il existe une autre adaptation réalisée pour la télé. Belmondo reprend le rôle de Vanel et Samy Nacery celui de Bebel. Le realisateur est Bernard Stora qui a notamment été assistant réalisateur de Melville. Je n’ai jamais eu le courage de voir cette version, désolé…
