Un vivant qui passe - 1999 - Claude Lanzmann

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Manolito
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Un vivant qui passe - 1999 - Claude Lanzmann

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En 1999, Claude Lanzmann sort ce court documentaire (environ une heure) qui est en fait basé sur un entretien effectué en 1979, dans le cadre du tournage de "Shoah". Ce dernier étant déjà très long ce témoignage a été écarté, mais il refait donc surface à la fin des années 90 comme un document isolé.

Il s'agit en fait d'un entretien avec le suisse Maurice Rossel qui, durant la seconde guerre mondiale, était visiteur de camps de prisonniers pour la Croix Rouge. Il n'avait qu'une vingtaine d'années à cette époque et la mission de la Croix Rouge ne concernait que les prisonniers de guerre et non les déportés civils. Rossel a quand même entrevu le monde des camps d'extermination durant la guerre. Ainsi, il s'est rendu officieusement à Auschwitz pour tenter de voir ce qui s'y passait, il est arrivé jusqu'au commandement du camps, mais a été renvoyé vite fait. S'il a vu les défilés glaçants des déportés squelettiques, il dit que durant les quelques instants qu'il a passé à l'orée du camps, il n'a rien vu, rien pu deviner de ce qu'était la machine à tuer en nombre qu'il approchait.

D'autre part, il a aussi visité officiellement le ghetto de Theresienstadt en 1944, en fait un camps "modèle" destiné à être montré aux visiteurs étrangers (particulièrement des pays neutres) pour les "rassurer" sur la condition des juifs en territoire nazi. Une visite outrageusement mise en scène évidemment, mais Rossel avoue de nouveau ne pas avoir pu deviner la mesure de ce que lui cachait ce ghetto fabriqué. Il pensait qu'il s'agissait d'un camps pour juifs privilégiés ayant acheté leurs survies. Lanzmann lui explique que ce n'était pas le cas, qu'il s'agissait d'une antichambre des camps d'extermination, une ville où les habitants mourraient par milliers chaque mois. Un des moments les plus terrible du documentaire est quand Lanzmann révèle à Rossel que, pour masquer la surpopulation du ghetto à ces visiteurs de la Croix Rouge, 5000 juifs du ghetto ont été envoyés à Auschwitz par les nazis prestement... Les traits Rossel se décompose à cette révélation, évidemment.

Tout comme dans les autres témoignages de "Shoah", Lanzmann se révèle un intervieweur très précis, traquant le détail, la contradiction, s'impliquant de façon énergique dans la discussion. Toutefois, il se montre respectueux de son interlocuteur et précise toujours que si Rossel a été dupé, c'est qu'il a été la victime d'une mécanique de tromperie de mensonge extrêmement élaborée de la part des nazis, experts en mise en scène et en manipulations en tous genres. Et s'il est celui qui a été à Auschwitz et n'y a "rien vu", il est aussi celui qui a au moins essayé de savoir, qui y est allé à ses risques et périls alors que le reste du monde préférait détourner les yeux. La dissimulation, la science du mensonge des nazis est certainement le trait principal à retenir de témoignage évidemment terrible et passionnant. Il s'agit toutefois d'un complément de "Shoah" et n'aura sans doute pas beaucoup de sens si on le regarde seul.

Vu sur le dvd "Cahiers du Cinéma", qui propose sans surprise une copie 1.33 4/3 de qualité assez médiocre. On remarque que Lanzmann dans le cadre de l'interview, a inséré quelques contrechamps sur lui, manifestement tournés dans les années 90, dans un tout autre lieu, maladroitement inséré. Bizarre. En français mono (mais très mal rendu, il déborde en fait en stéréo, avec beaucoup de bruit de fond), avec STA. Le disque comprend aussi le documentaire de Lanzmann sur Sobibor, lui aussi constitué de témoignages de l'époque de "Shoah" et non utilisés.
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