Mettant en scene un Art Carney (Suspense (1949), The Twilight Zone (1959), Le Mutant (1978), Defiance (1980) ) age de 54 ans a l’epoque, dans le role d’un septuagenaire en quete d’une place pour lui-meme et son chat dans un monde petri de certitudes. A ce titre, H&T est le recit d’un voyage.
Voyage “initiatique”? Pas vraiment, car Harry ne semble pas reellement changer, ses yeux etaient ouverts en debut de metrage, ils le resteront, peut-etre juste un tout petit peu plus, sans plus. Un voyage permettant d’effectuer “un retour sur une vie, sur sa vie”? Pas vraiment non plus, car meme s’il rencontre les siens, Harry ne tire aucun bilan, il ne juge pas autruit et ne semble pas non plus se juger.
En fait, H&T est plus le recit d’un voyage d’un homme age et de son chat, et—surtout—des rencontres qui le ponctuent. L’un emmenant l’autre, l’autre entrainant l’un. De qui emmene l’un ou de qui entraine l’autre, le spectateur n’en sera jamais vraiment sur. Le fait, est qu’ils voyagent ensemble, partagent leur temps, ainsi que leurs existences avec d’autres voyageurs au gre de leurs perigrinations.
Mazursky (Next Stop Greenwich Village (1976), Willie and Phil (1980), Down and out in Beverly Hills (1986) ), jete ici un regard affectueux sur la vieillesse, affectueux et gentiment decalle. Si en filigrane, l’on evite pas les sujets qui “fachent”, tels la mort (l’ami de toujours), le fosse entre les generations (la belle-fille de Harry, mais aussi entre les enfants de Harry et leurs propres enfants), une mise a l’index (dans un home pour retraites) ou la perte des moyens (ici; mentaux), le realisateur-scenariste prefere attirer l’attention sur ce que les personnages partagent plutot que sur ce qui les separent.
A ce titre H&T est un film genereux. Quelque part sa (tres) douce folie, semble avoir puise dans le vecu, voir peut-etre dans des rencontres lors du tournage-meme, tellement certaines idees ou scenes paraissent inattendues, deviations de l’histoire principale, certes, mais qui bizarrement s’y fondent sans problemes.
Dans l’Amerique post-Watergate, et aux prises avec une guerre du Vietnam en fin de parcours, rongee par le cynisme, ou l’image des “vieux” (sages) tend plus vers une certaine caricature acariatre (tels les “quadras” The Odd Couple (1968) mettant par ailleurs en scene le superbe duo (Walter) Matthau / (Jack) Lemmon ) ) et leur monde ferme entre “coups de gueules” et parties de poker), H&T prefere tendre la main (et le coeur), essayant de comprendre les bouleversements qui entourent le hero.
Le film est ainsi en fait, plus un precurseur de Straight Story (1999) et de son hero croisant bien des destines sur sa route d’un point A vers un point B et qui pourtant traversera toutes les autres letters de l’alphabet, le recit se deroulant ici a hauteur des pattes de chat, plus que des roues d’une tondeuse a gazon.
La performance de Carney flanque de son petit compagnon de voyage roux est superbe, et fait sans probleme croire au personnage(s). Si l’adage hollywoodien veut que de jouer avec un animal ou un enfant, vous font automatiquement passer au deuxieme plan, Carney parvient a tenir la dragee haute a Tonto, a moins que ce soit ce dernier qui se montre magnanime et laisse une place a son co-acteur?

Il est interessant de noter qu’une histoire (gentiment decallee sur un voyage initiateur) similaire de nos jours, mettrait en vedettes surtout des jeunes dans un monde de jeunes, alors que H&T narre essentiellement les peripeties d’un “vieux” dans un monde qui semble (surtout et hormis sa propre famille) peuple de “vieux”.
Quelque part, H&T rappelle cette (tres) vieille chanson, ou “l’on sait, l’on sait”, jusqu’on arrive a l’age ou “l’on se rend compte qu’on ne ne sait rien et ne savait jamais rien”. Harry savait dans son appart a New-York, puis au fur et a mesure des rencontres et de son odyssee, se rend sans doute compte que non, et qu’au final, “savoir” ou pas, ne compte pas reellement. Ce qui compte c’est l’instant, les rencontres, les gens et bien sur...les chats…
Un film aussi, qui met en porte-a-faux l’idee que les retraites doivent de nos jours etre sur-actifs, entraines qu’ils sont par un monde qui ne s’arrete plus de courir, et ce, de plus en plus vite et qu’il y a peut-etre plus de profondeur, de philosophie et de contacts humains, a nourrir des pigeons (ou des chats) sur un banc qu’a froler la crise cardiaque en “joggant” en groupe.
Le voyage de Harry se fera—tout comme celui de Richard Farnsworth dans SS de Lynch, au rythme de ses propres pas, du ralenti de sa vieille guimbarde ou des pas feutres de son petit compagnon.
Si le film semble manquer d’un certain “point de vue” sur le hero, son monde ou le monde qu’il parcourt, il ne manque surement pas par contre d’”honnetete” dans son affection pour TOUS ses personnages et de malice dans les representations de toutes les rencontres.
Au terme du voyage, que reste-t’il? Une “separation” et un chateau de sable, fait sans doute du meme sable que celui du temps qui s’ecoule, le tout sur fond de soleil couchant, mais aussi une “retrouvaille” et une jeune main tendue avec un sourire. Une petite main, mais qui sans difficulte, car sans prejudice aucun, traverse le “fosse des generations”.
A voir, pour l’honnetete, le cote pitoresque—voir picaresque et surtout le tendre regard du cineaste sur ceux qui nous ont precede—mais qui sont toujours la(!), mais aussi sur tous les autres, et bien sur, si on aime les chats (mon cas)

Harry and Tonto: 4.75