
Dans les années 1840, dans une région rurale de Prusse, Jakob, fils du maréchal-ferrant d'un petit village, est passionné par les Amériques. Leur pays sombrant dans la misère, la famine, les épidémies, de nombreux Allemands quittent alors leur patrie pour devenir des colons au Brésil...
Edgar Reitz est surtout l'homme d'un projet, celui de "Heimat" (la Patrie), une série fleuve allemande de presque 20 heures consacrée à un village allemand entre 1919 et 1982, projet au retentissement considérable, qu'il fit renaître en 2004 pour une autre série fleuve consacrée cette fois à l'Allemagne d'après la chute du mur de Berlin.
En 2013, il revient une troisième fois à Heimat avec "Heimat - Chronique d'un rêve - L'exode" qui revient ici dans le passé, dans une Prusse entre reflux de l'Empire napoléonien, retour à un féodalisme dépassé et astreignant, et envies d'adhérer à des idées de progrès révolutionnaires.
Ce film-fleuve long de quatre heures est sorti en France en deux volets (Chronique d'un rêve, puis L'exode), et cette fresque sur fond de misère et d'émigration n'est pas sans rappeler deux classiques dédiés à ce thème : "America America" de Kazan (en moins cru et en plus romanesque) et "Les portes du Paradis" (en moins western et en moins violent).
Le personnage central de cette fresque est Jakob, un rêveur né dans une famille simple, vivant dans une région rurale et reculée. Il se passionne pour les peuples d'Amérique, les indiens, leurs coutumes, leurs langages. Mais ce rêveur a la tête trop loin des réalités et il laisse passer son bonheur quand celui-ci passe à portée de ses mains.
On retrouve des thèmes de la grande époque du cinéma d'auteur allemand, celui des années70, le temps des radicaux, des Fassbinder, des Herzog, des Schlondorff... L'identité nationale, la stagnation et l'ennui, l'envie de fuir ailleurs (l'Amérique du Sud en particulier, comme chez Werner Herzog), une mystique superstitieuse (comme dans "Coeur de verre" de Herzog ou "L'année des 13 lunes" de Fassbinder : ici, c'est le passage d'une comète dans le ciel qui détraque la vie de la famille Simon). Herzog joue ici le court rôle de l'explorateur prussien Alexander von Humboldt.
La mise en images est dans un superbe scope noir et blanc, parfois ponctué de contrepoints de couleurs significatifs (des fleurs, une pierre travaillée par un artisan, des flammes...). La caméra adopte des mouvements tournoyants et sinueux, balayant des images saturés de détails minutieux, apportant une vraie touche de grand spectacle de cinéma. L'écriture et l'interprétation sont remarquables de justesse, la construction des personnages minutieuses, l'attention aux détails (en particulier dans le domaine des artisanats et des traditions populaires) donne à "Heimat - Chronique d'un rêve - L'exode" une authenticité et une richesse réelles.
Si "Heimat - Chronique d'un rêve - L'exode" est un film d'auteur européen pur et dur, c'est aussi un vrai grand spectacle populaire et romanesque : pas d'auteurisme abscons et nombrilisme ici, mais une vraie grande, belle histoire de cinéma, un vrai regard sur les hommes. Formidable, vraiment à découvrir !
Vu sur OCS replay, copie 2.35 HD, Dolby Digital 5.1 VOSTF.