C'est un vieux texte que j'avais écrit sur mad-movies mais les idées sont là.
Si Seven propose une quelconque critique de la société de consommation, ce n’est que du point de vue d’un wasp, donc forcément rétrograde. À aucun moment dans le film, John Doe n’est montré comme un " méchant " (enfin, surtout à la fin). La conversation dans la voiture est un moment charnière du film dans le sens où John Doe explique ses actes avec forces argumentations… Mills se moque de lui, est agressif et ne cherche pas à comprendre… Sommerset, lui, observe. Il a compris le discours de John Doe (il a le même à plusieurs reprises dans le film) et désapprouve le comportement de Mills (les plans sur les regards condescendants qu’il lui porte sont là pour le dire). Sommerset nous ayant été présenté comme étant le personnage principal du film, on a tendance à s’identifier à lui (c’est le premier personnage qui nous est présenté, il a droit à des scènes où il est seul…), à le prendre comme repère. En même temps, le spectateur est ici déstabilisé car il est tenté de s’identifier à Mills qui veut humilier le tueur, réclame vengeance. Ce qui est confirmé lors de la scène finale car le spectateur partage sa douleur tout en essayant de réfréner ses bas instincts. En réagissant ainsi, on se rend compte que l’on a complètement intégré, digéré le discours puritain de John Doe et donc quelque part on lui donne raison… Et Fincher ne contredit absolument pas ce discours religieux par l’intermédiaire de sa mise en scène. Ainsi, le septième jour (le dernier de la création du monde par Dieu), celui de la révélation du projet de John Doe, le soleil est là… La lumière sera enfin faite sur les actes de John Doe qui vont prendre sens et se révéler au monde… Et l’on va comprendre que le monde pourri mis à nu dans le film est ainsi parce qu’on ne met pas en avant les valeurs religieuses et puritaines de la bonne société Américaine… Je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de subversif là-dedans ! Mais bel et bien un discours rétrograde et douteux : " Éliminons ceux qui, ne pensant pas, ne faisant pas comme nous, mènent le monde à sa perte, mes frères ! "
Du discours de John Doe, on apprend qu’il punissait une frange de la société qu’il considérait comme en dehors de son idéal. Ainsi, il tue une personne obèse au lieu de s’en prendre au vrai responsable de l’obésité (en admettant que ce ne soit pas une anomalie génétique), c’est-à-dire les restaurants de fast food. Facile ! Il tue un fainéant considérant qu’il ne servait pas la société en n’étant pas productif. Dans le film, c’est également un délinquant sexuel, à noter que sous Clinton, on pouvait être étiqueté délinquant sexuel pour un oui ou pour un non et être complétement rejeté jusqu'à ne plus trouver de travail d'où la paresse.
Il tue une prostituée. À l’instar d’un Sarkozy, il est plus facile de s’en prendre à une pauvre fille certainement exploitée plutôt qu’au vrai responsable, c’est-à-dire la pègre et son réseau esclavagiste. Son discours est encore une fois limite : c’est une travailleuse du sexe, elle est sale et propage des maladies… À savoir qu’aux USA, on fait la chasse aux clients et aux filles plutôt qu’à la pègre… Il tue un avocat parce qu’il défendait des gens soi-disant indéfendables par appât du gain. Tout homme, quoi qu’il ait fait a droit à une défense. Fincher passe rapidement sur l’orgueil alors qu’il y a plein de choses à dire sur le paraître et l’hypocrisie, surtout dans nos sociétés… Pourquoi ? Parce qu’il n’a rien à dire…
Sommerset, descendant des esclaves Africains, devenu plus wasp que les wasp dans un beau modèle " d’intégration " a aussi tout un discours que l’on pourrait apparenter à l’ordre moral protestant. Ainsi la femme de Mills ne veut pas d’un bébé dans ce monde pourri et exprime le vœu d’avorter. Sommerset, par l’intermédiaire d’un discours à la gloire de la famille, la dissuade de le faire, mais elle payera de sa vie d’avoir eu des pensées impures. On ne rigole pas avec le mariage et la chose sacrée de la procréation aux USA ! La cellule familiale (le père, la mère, l’enfant) reste le modèle de la bonne société Américaine, le seul refuge face au monde corrompu décrit dans le film. Si ce ne sont pas des idées conservatrices, alors que les mœurs évoluent à une vitesse incroyable (couples libres, mariage dorénavant non obligatoire, sexualité libre, adoptions diverses, droit de la femme de disposer de son corps librement, homosexualité…), je me demande bien ce que c’est !…
Car, à la fin, on apprend que chaque victime n’en est pas vraiment une : elles ont toutes quelque chose à se reprocher quand on y pense bien… Mills finira sur la chaise électrique, il sera puni comme toutes les autres victimes ! Il y a tout un discours dans Seven qui est franchement douteux pour ne pas dire rétrograde !
De tout cela, il n’y a aucune analyse de causes ou d’effets du dysfonctionnement de la société de consommation et de la société en général ; tout est effleuré par l’intermédiaire de thèmes douteux…
Seven ne me gêne pas si ce n’est dans son discours ambigu que l’on pourrait interpréter comme sécuritaire. L’autre chose qui me gêne dans ce film est la position de Fincher par rapport à la peine de mort. Car la fin est clairement une parabole sur la peine de mort : dans toutes les fins, tournées ou non, John Doe est exécuté (punit) ! Fincher ne tranche pas, ne s’avance pas… Cela fait qu’il ne condamne pas la peine de mort ! S
La filmographie de Fincher est également emprunte de tout un discours religieux : Alien 3 est un film sur la foi avec sacrifice de soi à la fin ; " long et dur est le chemin qui de l’enfer mène à la lumière " phrase citée dans Seven et qui peut être le thème de The Game ; Fight Club où l’itinéraire d’un martyre de la société de consommation qui trouve la rédemption par la flagellation… Mais peut être qu’après tout, Fincher n’est qu’un formaliste ! Mais en aucun cas, il n’est subversif et encore moins progressiste… Pour preuve son dernier film, Panic Room, dont il ne fait rien d’autre qu’un exercice de style totalement vain. L’absence de bon scénario n’explique pas tout : Carax fait des films géniaux sans scénario, par exemple. Seven ne fait qu’aller dans le sens du puritanisme américain le plus crasse ! À la rigueur, c’est un document sur l’état d’un cinéma Américain consensuel qui n’a plus rien à dire et qui finit par se mordre la queue…