Un des films les plus intelligemment anti-religieux qu'il m'ait été donné de voir, parce qu'il ne se contente pas de casser du curé ou du bigot, mais parce qu'il s'en prend au contenu souvent violent, primitif de la Bible. Mais bon, apparemment, à sa sortie, tout le monde n'avait pas compris. Ce que j'en pensais à l'époque.
" Bill Paxton, après avoir commencé à travailler à des postes liés à la direction artistique dans des productions de Roger Corman (Super nanas (1974) de Steve Carver, La galaxie de la terreur (1981) de Bruce D. Clark...), s'est orienté nettement vers une carrière d'acteur : après des rôles très secondaires (un des punks dans Terminator (1984) de James Cameron, Commando (1985) de Mark L. Lester...), il finit, dans la seconde moitié des années 1990, par atteindre durablement le haut des génériques de grosses productions (Apollo 13 (1995) de Ron Howard, Vertical limit (2000) de Martin Campbell...) ; on l'a aussi vu récemment dans la brillant Un plan simple (1998) de Sam Raimi. Avec Emprise, il passe pour la première fois au poste de réalisateur, ce qui ne l'empêche pas de tenir le rôle principal du film (le père illuminé). A ses côtés, on retrouve Matthew McConaughey (Texas Chainsaw (1994), Contact (1997) de Robert Zemeckis, En direct sur Edtv (1999) de Ron Howard...) et Powers Boothe (Sans retour (1981) de Walter Hill, La forêt d'émeraude (1985) de John Boorman...)...
Dans l'état du Texas, un serial killer se faisant appeler "la main de Dieu" sème la terreur. Un homme, Fenton Meiks, vient voir l'agent du FBI chargé de cette enquête et lui annonce que le tueur est son propre frère : Adam Meiks. A partir de ce moment, le métrage va se dérouler essentiellement sous forme d'un flash back : Fenton va raconter au policier son enfance, partagé avec son frère sous l'influence de leur père qui les a élevé seul. Le récit se place alors du point de vue de Fenton, au moment de ses douze ans : le père est convaincu, après avoir eu une vision mystique, que Dieu lui a donné pour mission de détruire des démons qui se sont immiscés dans le royaume terrestre sous la forme d'humains. Il s'arme alors d'une hache découverte dans une grange, qu'il assimile à une arme sainte envoyée par le ciel, une espèce d'Excalibur, et massacre des individus qu'il prend pour des démons. Si Fenton perçoit la folie s'emparant progressivement de son père, qui exige de ses deux fils qu'ils l'assistent dans sa croisade, son jeune frère Adam, plus influençable, suivra complètement les délires mystiques de son géniteur.
On est immédiatement sous le charme de la réalisation d'Emprise. D'une grande sobriété, mais toujours suffisamment fluide et élégante pour ne pas paraître sèche, elle s'efface complètement devant le récit, et ne se permet des effets voyants que lorsque ceux-ci sont totalement justifiés (les fondus enchaînés qui lient le présent au passé, l'extase mystique du père dans le garage, la folie de Fenton...). La photographie magnifique de Bill Butler (Conversation secrète (1974) de Coppola, Génération Proteus (1977)...) et la musique inquiétante et mélancolique de Brian Tyler (Le quatrième étage (1999), Terror tract (2000)...) participent avec subtilité à l'ambiance réaliste et quotidienne du récit, tout en lui apportant une touche fantastique et inquiétante. Les interprètes sont en tout point excellents, particulièrement Bill Paxton dans le rôle de ce garagiste simple et religieux sombrant dans la folie homicide en restant toujours sûr de son bon droit.
A travers le portrait de cet homme influencé par la lecture de la Bible, Emprise traite du délicat sujet de la ferveur religieuse. Interprétant à la lettre les écritures, le père va incarner une figure inquiétante, renvoyant nettement au Jack Torrance de Shining (1980). L'exaltation religieuse, la foi, si elle ne s'accompagne pas d'une lecture critique des dogmes (qui se contredisent parfois), est donc dangereuse : elle peut conduire à des comportements dangereux, certaines personnes pouvant estimer que les lois divines (celles de la Bible) sont supérieures à celles des hommes, et que le devoir d'un chrétien est de les faire appliquer puisque le pouvoir laïc, lui, ne s'en charge pas. Le jeune Fenton, conscient de la folie de son père doit donc affronter ce personnage, à la fois angélique et doux comme un agneau, et terriblement dangereux. Cette confrontation entre des enfants et un adulte ambiguë, se réclamant d'une autorité morale d'origine divine, rappelle La nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton, à la notable exception que le père de Fenton est, contrairement au pasteur hypocrite incarné par Charles Mitchum, tout à fait sincère dans ses intentions.
Emprise se conclut sur une succession un peu confuse de rebondissements, certains prévisibles, d'autres tout à fait inattendus. Ces séquences jouant sur la difficulté à démêler le bien du mal, certains ont voulu y voir une apologie de la peine de mort, ce que Bill Paxton a très fermement nié (je vous invite à vous reporter à l'entretien publié L'écran fantastique 221 de mai 2002). En fait, tout au long du métrage, il dénonce surtout les dangers d'une interprétation littérale de certains textes religieux, ainsi que la brutalité inhérente à certains passages de l'Ancien Testament. En effet, si le Dieu des chrétiens est en général promu comme un doux et indulgent, il n'en reste pas moins que c'est aussi le Dieu qui a demandé à Abraham de lui sacrifier son fils Isaac (Emprise y fait très clairement référence), qui a interdit à Moïse de voir la Terre Sainte parce que ce prophète avait douté de lui un instant, qui massacre des peuples, répand des maladies... Le père de Fenton et Adam ne fait que se mettre au service de ce Dieu de cruauté, le Dieu de la loi du talion, et les fautes de ses victimes ne sont en rien une excuse à son comportement dément et brutal (cela reviendrait à faire dire à Emprise que la peine de mort appliquée à des gens qui ont vraiment commis des crimes est compréhensible). Les dernières images d'Emprise balaient toute ambiguïté : l'accompagnement musicale et la réalisation présentent bien le tueur comme un monstre angoissant, pas comme un héros ; si un Dieu l'a soutenu, alors il s'agit d'un Dieu tout aussi monstrueux. Si Emprise traite de la peine de mort, c'est bien plus en explicitant le contexte idéologique et religieux de l'état du Texas, où elle est souvent utilisée comme tout le monde le sait, plutôt qu'en proposant une dénonciation univoque et facile, sans réflexion construite sérieuse.
Toutefois, on regrette que cette avalanche de révélations un peu farfelues viennent briser l'homogénéité et le rythme équilibré du métrage, tout en révélant des incohérences conséquentes. De plus, pas très bien amenées, elles entraînent un sentiment de confusion, ce qui a sans doute entraîné des interprétations contradictoires de la part de certains spectateurs. On peut aussi regretter que le reste d'Emprise soit un peu lent par moment.
Néanmoins, par son ton général, la justesse de son rapport à l'enfance (on pense à Stand by me (1986) de Rob Reiner) et par la subtilité de sa réflexion sur le fanatisme religieux, Emprise est un film tout à fait intéressant. Sa réalisation impeccable (à part, hélas, dans sa conclusion) est aussi tout à fait admirable. Quand au contenu "polémique" que certains ont voulu y voir, je vous invite à vous faire une idée par vous-même, en essayant d'aller voir le film sans préjugé."
Le test du zone 2 par Arioch
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