Otis a écrit : quelque part, ce film est le plus purement Cronenbergien dans le sens où il développe au mieux sa philosophie existentialiste. Je ne suis pas athée, mais je me retrouve quand même dans sa vision (je ne suis pas existentialiste non plus, philosophie que je répugne par ailleurs)
Ah bah si ça te « répugne », la discussion va vite tourner en rond. Je comprends donc que pour toi le destin existe. Que l’homme n’a pas de libre arbitre en quelque sorte, sachant que cette dernière notion est largement discutable. Pour ma part, je ne pense pas que l’Homme puisse mettre totalement en action son libre arbitre, mais en tous cas je reste convaincu que la manipulation du destin n’existe pas, que rien n'est écrit. Il me semble que l’œuvre de Cronenberg tend vers cette idée.
Otis a écrit :sa vision qui met en éveil l'esprit humain et en fait une chair qui s'interroge : j'aime le procédé. Bien sûr, ce qui se cache derrière est contestable, je n'irais pas jusqu'à dire que ce film est une de ses propagandes, mais je suis en désaccord avec l'application qui se cache derrière l'oeuvre, à savoir, comme tu le dis si bien, l'humain comme "machine qui autoprogramme sa vie." Je souris doucement, même si je respecte le point de vue, entre l'homme et la machine, on pourrait se demander lequel des deux a un esprit par exemple et une capacité reproductive. Une machine n'est qu'un esprit humain par extension... Enfin, on va dévier vers la philo là
Justement, sans esprit l’Homme n’est qu’une machine. La chair en soit n’existe que par le truchement de l’esprit, dans ce qu’il a de plus réfléchi ou de plus instinctif. Ce n’est pas la chair qui s’interroge mais l’esprit qui se demande jusqu’où il peut utiliser sa chair. C’est le parcours de Max Renn dans Videodrome, c’est l’envie d’aller de l’avant dans l’expérimentation de Seth Brundle, c’est ce que vivent les étudiants de « Crime of the Future », c’est toute la question de « The Brood » etc… La chair est un réceptacle à esprit, rien de plus. La fin de Scanners est l’exemple probant de ça. Cameron Vale prend possession du corps de son frère Darryl mais il reste lui même. Parce que peu importe la forme de la chair c’est l’esprit qui domine. Et à chair égale, Claire Niveau finit précisément par savoir, par leur esprits, qui des frères Mantle est Beverly et qui est Elliot dans « Faux-semblants ». Ce que fais Cronenberg n’est pas une « propagande » mais une démonstration.
Je ne comprend pas ta phrase « entre l'homme et la machine, on pourrait se demander lequel des deux a un esprit par exemple et une capacité reproductive. Une machine n'est qu'un esprit humain par extension... », je ne vois pas ce qui rentrerait en contradiction avec le débat. Je n’oppose pas l’homme et la machine mais je conçoit le corps, la chair, au même titre qu’une machine qu’une extension humaine cérébrale peut à loisir modifier et surtout contrôler. Je comprend la fascination de Cronenberg pour des gens comme Orlan et ses multiples transformations corporelles. Il voulait d’ailleurs faire un film sur elle.
Otis a écrit :J'aime l'art de Cronenberg, mais ça s'arrête là en ce qui me concerne. Dans le cinéma de Cronenberg, du moins dans les thématiques, les notions de destin, d'amour spirituel, l'ennui, la passion, le hasard, n'existent pas et sont vite remplacées par une "programmation", quelque chose qui contrôle ses personnages souvent accusés de froideur - car ils ressemblent à des robots. ...
Désolé mais c’est faux. A par la notion de destin, qui est effectivement plutôt exclue de son œuvre, « l’amour spirituel » existe (voir « M Butterfly », voir le lien qui uni les frères Mantel). « L’ennui » est omniprésent aussi, c’est même ce qui motive entre autre les personnages de Cronenberg à se surpasser. C’est toute la thématique de « Crash », de « The Brood », du « Festin nu » et par extension d’ « eXistenz ». « La passion » ? Comment nommes tu le dévouement total de Seth Brundle pour son œuvre ? La fascination sexuelle pour les voitures dans « Fast Company » ? La prise de risques de Billy Lee pour finir son roman dans « Le festin nu » , toujours les frères Mantle et leur passion à la fois pour une femme commune et le mystère gynécologique qu’elle renferme. Bien au contraire je trouve les personnages chez Cronenberg excessivement passionnés, une passion devenant, dans la plupart des cas, une vraie obsession. Quant au « hasard », il reste cet élément, cet infime grain de poussière qui peut tout faire basculer. Une mouche. En cela l’idée existentialiste, de libre arbitre, chez Cronenberg n’est pas aveugle (voir « History of violence »)
Qui plus est, les personnages ne sont pas « contrôlés » par une force supérieure, ou une ligne directrice prédéfinie, mais choisissent tous de se laisser contrôler par leur propres émotions, leurs propres anges et démons. Certains de façons plus velléitaire certes, mais tous font un choix, qui peut se retourner contre eux, mais ça reste un choix.
Otis a écrit :L'erreur selon moi est d'avoir vu dans de tels comportements des émotions... au lieu de sentiments que rejette en masse Cronenberg. Mais c'est bien là le propre de chacun de nous : nous avons des sentiments, et les émotions seules nous dépassent. Là-dessus se colle soit le destin, soit (la tentative ?) le contrôle de soi. C'est pour ça que Cronenberg à mon avis a fait un réel sacrifice sur soi quand il a réalisé
Dead Zone : pour King, Johnny Smith est une destinée, annoncée symboliquement par "la roue de la fortune" dans la fête foraine où il se rend avec son amie. On sent que Cronenberg a renié ce côté du livre de King, même s'il en a laissé quelques composants contraires à ses convictions. Par exemple, (et, heureusement pour lui, l'histoire d'amour était impossible dans
Dead Zone dès le roman ! et ceci, même si le réalisateur rend bien les déchirures de Smith) l'amour n'est que charnel chez lui, on parle d"'accouplements" plutôt que d'Amour et c'est pourquoi je considère la vision amoureuse de Cronenberg plus animale qu'humaine. La seule ambiguité, c'est qu'il nous couvre cela de l'esprit qui serait l'unité centrale de cette animalité. L'expression artistique est belle, mais en ce qui me concerne, philosophiquement, c'est une aporie.
Je suis d’accord pour « Dead Zone » est c’est aussi pour cela que je considère ce film comme l’un des plus faible de sa carrière (thématiquement parlant parce que le film en soit est vraiment très réussi). Quant à dire que l’amour chez Cronenberg n’est QUE charnel… Je pense qu’on ne parle pas du même réalisateur. Kim Obrist AIME Cameron Vale, même après son changement de corps, Veronica Quaife AIME Brundle-fly jusqu’au bout de l’acceptable, William Lee aime toujours autant sa défunte femme, je ne parle même pas de René Gallimard qui aime, spirituellement, tellement Song Liling qu'il ne voit pas la vérité et qu'il conçoit qu'elle-il puisse se refuser à lui. L'amour spirituel est et reste le plus fort chez notre père David. Il est capable de fausser la "vérité" aux yeux des protagonistes de ses films, il est à la base même de la "nouvelle chair", du glissement de "réalité". Qu'est ce qui subsiste à la fin de "Crash" si ce n'est l'amour spirituel entre James Ballard et Helen Remington ? Les expérimentations des héros Cronenbergiens trouvent souvent leur motivations dans l’amour, dans la notion plus que dans l’acte. Après c’est vrai que Cronenberg décrit souvent les actes sexuels comme des accouplements (la scène de baise dans les escaliers de « History of Violence » est une des scènes de cul les plus chaude que j’ai vu depuis bien longtemps d’ailleurs), mais pensez qu’ils ne sont QUE charnellement bestiaux réduit considérablement ce qui est dit dans ses films. Et quoi qu’il en soit, l’accouplement bestial est aussi humain qu’animal. Je ne vois aucune ambiguïté dans l’idée de poser cette forme de sexualité sous la coupe d’un esprit conscient, ca me semble être le propre de l’Homme. Même le violeur a en général « conscience » de son acte.
Otis a écrit :Edit : au fait, ce n'est pas parce qu'on ne pratique pas des jeux-vidéo qu'on ne peut pas s'en informer et créer quelque chose de semblable. Sauf erreur, Coppola n'a jamais été avec les Marines au Vietnam mais ça ne l'a pas empêché de réaliser Apocalypse Now...
Et puis, je trouve que Existenz est une sorte de Sims de l'horreur...
Je le répéterai jusqu'à l’essoufflement mais « eXistenz » n’est PAS un film sur les jeux vidéos, ce n’est pas parce qu’on vous l’a vendu comme ça qu’il faut y croire. Revois le film et trouve moi une seule (en fait il y a 1 mot, un seul) phrase qui puisse te faire penser que les gens jouent à un jeu VIDEO. Alors oui, Cronenberg a utilisé certaines ficelles, certains codes du jeu vidéo, mais pour mieux nous parler de l’humain et principalement de sexualité (voir le dialogue hilarant dans la station service entre Jude Law et Willem Dafoe qui, à mon avis résume à lui seul la direction du film). C’est la force des artistes que de brouiller les pistes sur un terrain qu’on croit connu.
Not only does God play dice, but... he sometimes throws them where they cannot be seen - Stephen Hawking