Dehors, Patrick Bateman a tout : un emploi stable et bien rémunéré, la beauté et le charme, la richesse facile, la "conscience" professionnelle… Seulement quand on ouvre son crâne, on découvre rien de bien rassurant. Narcissique, maniaque, jaloux et envieux, célibataire qui ne suit sa libido qu’en se payant quelques prostituées d’un soir... Et peut-être que ce type nous ressemble plus qu'on ne le croît.
La modernité, celle qui comble nos journées à travailler, pour la plupart, dans une entreprise et rencontrer des collègues, c'est cette modernité là qui surplombe cette oeuvre que j'ai trouvée fascinante. Cette tension si particulière qui consiste à s'adapter à la vie quotidienne est parfaitement retransmise dans ce personnage qu'est Bateman joué par un Bale qui correspond exactement à ce caractère de fou, de parano, mais c'est un personnage que l'on comprend malgré tout... un peu comme on comprendrait un certain Alex Le Large. Ce film, c'est une sorte d'Orange Mécanique révisé, un joli brûlot, une satire génialement mise en scène par Mary Harron.
Mais ce qui est terrifiant, au-delà des scènes qui m'avaient impressionné quand le film est sorti - quand Bateman tue sa victime en lui faisant l’amour, les coups de hache etc. - ce sont les mécanismes qui génèrent la folie de Bateman. Parce que Bateman n'est pas né fou, il le devient. Voilà la Nuance qu'a comprise la réalisatrice qui pour les mauvaises langues ne respectaient pas le roman (donc on va lui mettre une sale note car la réalisatrice a été méchante !). Sauf que le roman est... mal écrit ? Sauf que le roman insiste sur des effets qui auraient rendu ce film touffu. Et Harron respecte l'esprit du film : c'est une farce et la chute est hallucinante, seul le visage de Bateman suffit pour m'avoir convaincu là-dessus. L'esthétique du meurtre confine à une jouissance presque sadique : on met la blouse, du Phil Collins, on prend une hache, et en avant la musique !
Bateman devient fou à cause d'une société basée sur le progrès aiguillé par ce sens du "toujours plus", le regard des autres évidemment, cette soif inassouvie d'être le plus fort, le meilleur etc., ainsi d'écarter toute concurrence, sexuelle, politique, financière. C'est pourquoi ce film ne se contente pas de nous verser de la violence ou de l'érotisme gratuit - Bateman, comble du narcissisme, se filmant en pleine ébauche. Ce film est une belle farce grinçante et Bale est décidément un grand acteur.
On notera le style maîtrisé du film avec la mise en avant de cette voix froide et intérieure qui résonne, comme si c’était à nous qu’elle parlait. Il finit par concrétiser ses pulsions intérieures et les limites de la morale, du civilisé, s’effacent. Les acteurs et Bale en tête sont excellents et accompagnent parfaitement bien l'humour noir et décalé tendance Tarantino. Le film jongle même avec ses personnages secondaires. Cette oeuvre est un mélange de thriller déjanté salé par quelques effets d'horreur psycho. J'ai pris un pied fou en regardant ce film qui se joue du sérieux, de l'artifice. Le syndrome Bateman est désormais une philosophie de vie.

15,5/20