L'Occupation [modifier]
De nombreux chercheurs ont particuliérement fouillé la vie d'Hergé pendant cette période trouble (ainsi qu'en témoigne la longueur de cet article comparé aux autres moments de sa vie). Différents auteurs ont ainsi tenté (souvent pour des raisons de sensationalisme) de ternir son image en commentant tel ou tel elément sans tenir compte de l'environnement de l'époque et en portant une sentence facile bien des années aprés.
Il a été noté que juste avant la guerre il avait prété son concours à un journal financé par l'ambassade d'Allemagne à Bruxelles: "L'Ouest" dont le rédacteur en chef était le journaliste belge Raymond de Becker et qu'il y publiera une série neutraliste intitulée les « Aventures de Mr Bellum ». À partir de 1940, Hergé travaille pour le quotidien belge Le Soir, journal contrôlé par l'occupant et dirigé par Raymond de Becker. Les aventures de Tintin paraissent d'abord dans un supplément, Le Soir Jeunesse, puis, suite entre autres à des restrictions de papier, sous la forme de strips noir et blanc ; ce sera Le Crabe aux Pinces d'Or, marqué par l'apparition du capitaine Haddock, puis L'Étoile Mystérieuse, Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge (le récit sur deux volumes d'une fantastique course au trésor, menée avec l'aide d'un nouveau venu, le professeur Tournesol), et enfin Les 7 Boules de Cristal (une variante de la malédiction de la momie). C'est en 1943 qu'il rencontre Edgar P. Jacobs. Le futur créateur de Blake et Mortimer aide Hergé à refondre ses anciens albums, pour les coloriser et les faire tenir dans le cadre strict des soixante-deux pages (jusqu'ici, certaines des aventures de Tintin faisaient jusqu'à cent trente pages), en raison des restrictions de papier dues à la guerre.
La parution des 7 Boules de Cristal sera interrompue le 3 septembre 1944. En quelques jours, Hergé est arrêté à quatre reprises, par la Sûreté de l'État, la police judiciaire, le Mouvement National Belge et le Front de l'indépendance. Tous les journalistes ayant participé à la rédaction d'un journal pendant l'Occupation se voient interdire provisoirement toute publication. Pendant cette période troublée, Hergé a écrit des récits d'évasion, évitant de faire référence à la situation politique internationale. On a noté que dans la première édition de L'Étoile Mystérieuse, l'expédition internationale à laquelle participe Tintin ne compte que des pays neutres ou membres de l'Axe, et que leur déloyal concurrent est sous pavillon américain et financé par un certain Blumenstein, nom à la connotation juive (le nom de Blumenstein sera dans des versions ultérieures remplacé par Bohlwinkel et le pavillon américain par celui d'un pays imaginaire). Un strip qui caricaturait des marchands juifs se réjouissant des affaires qu'ils allaient faire grâce à la fin du monde avait été supprimé dans l'album.
L'œuvre d'Hergé contient aussi quelques dessins considérés à la lumière des événements ultérieurs comme douteux dans ce registre ; ils ont pratiquement tous été corrigés par la suite (à l'exception notable du nez de Blumenstein, que Hergé projetait de redessiner - sans jamais pourtant prendre le temps de le faire - car il évoquait trop les caricatures antisémites de l'époque). Avant l'Occupation, Hergé peut être désigné comme ayant été proche de Léon Degrelle et des rexistes. Il a illustré la brochure de ce dernier « Histoire de la guerre scolaire », en 1932.2
Certains auteurs, comme Maxime-Benoît Jannin, pensent que Hergé a profité de la situation en notant qu'alors que le journal d'Hergé Le Vingtième Siècle ne peut plus paraître, Le Soir passe aux mains des partisans de l'Ordre Nouveau et de la propagande allemande. Hergé y est embauché (dès octobre 1940). Il passe ainsi d'un journal tiré à 15 000 exemplaires à un journal tiré à 200 000 puis 300 000 exemplaires. De l'effondrement de 1940, date, il faut s'en souvenir, l'entrée d'Hergé dans le succès et son corrolaire, la richesse..., (qui s'illustre par le fait qu'Hergé vendit 600 000 albums durant l'Occupation.3 Le même auteur a cherché à montrer à charge qu'il y avait une proximité entre le futur directeur du « Soir volé », Raymond De Becker et Hergé, qu'il existait des sympathies du dessinateur de Tintin pour Léon Degrelle et qu'il avait fait des caricatures de la position de la France en décembre 1939 dans l'éphémère hebdomadaire L'Ouest.
Néanmoins ce qui est interprétable comme antisémétisme ou du moins judéophobie n'est que le revélateur de la pensée collective dominante du moment. Cela ne signifie pas qu'Hergé se soit rendu complice des pires choses et c'est oublier les quelques caricatures anti germaniques parues à travers Quick et Flupke.
Certes l'album L'étoile mystérieuse oppose l' Europe (une Europe sans Anglais ni Français), aux USA avec les connotations idéologiques et antisémites qu'on peut en déduire. A l'inverse, on peut noter que, dans Le Sceptre d'Ottokar (qu'on peut interpréter comme une fable se rapportant à l'Anschluss) ses sympathies vont à l'évidence aux "Syldaves" royalistes, victimes des fascistes "Bordures" sous la direction d'un dénommé Musstler (on ne peut être plus clair).
Cependant, dès la libération et la reconstruction de l'europe, Hergé gagnera le surnom -venant des anciens milieux collaborationnistes comme ceux issus de la résistance- de "providence des inciviques" 4 :
- récupération de Jamin, dessinateur de brochures rexistes et nazies, dans l'atelier de Hergé
- sauvetage de Robert Poulet, éditorialiste pour des journaux nazis appellant au recrutement de volontaires belges pour les unités SS devant combattre l'Union Soviétique
- embauche, à l'atelier de Hergé, de Ralph Soupault, dessinateur au tristement célèbre "Je suis partout", le journal francophone s'étant le plus engagé auprès des nazis
- Jacques Van Melkebeke, condamné pour sa participation active au « Soir volé », dans lequel il écrivit un compte-rendu révulsant à propos d’un procès de résistants, à Liège.
Hergé embauchera également, comme collaborateurs, dans son studio(référence:
http://www.resistances.be/alix01.html): - Jacques Martin, dessinateur de "Alix, fervent partisan et animateur des chantiers de la jeunesse de Vichy
- Bob De Moor, anversois, sympathisant flamingant notoire, proche des « légions anti-bolchéviques ».
- Baudouin van den Brande de Reeth, qui avait laissé « vagabonder » sa plume dans « Le Nouveau Journal »… entre 1940 et 1943 .
- Josette Baujot, veuve d’un collaborateur français qui, dès 1945, avait cru bon de fuir en Argentine, et sans doute pas seulement pour y jouir du bon air de la pampa, puisqu’il s’y fit assassiner par d’anciens résistants français.
Extrait d'une lettre de Hergé à Maurice Bardèche: "quelle preuve vous donner de l'amitié que je ressens spontanément pour tous ceux auxquels le souvenir de Robert Brasillach est lié"5
Brasillach: collaborateur des plus hardis, fusillé à la libération. Une sanction que n'acceptera jamais son beau-frère et ami, Maurice Bardèche, qui signera tous ces textes et articles de la mention "écrivain fasciste": fanatique collaborateur des nazis durant l'occupation, il est l'auteur des tomes "Nuremberg ou la terre promise" et "Nuremberg II ou les faux monnayeurs" des ouvrages inaugurant le négationnisme de la Shoah. Parmi les autres réalisations de cet ami d'Hergé, on compte la création de la revue "défense de l'occident" (qui compta parmi ses contributeur le négationniste Robert Faurisson) et le journal "Rivarol" (qui a soutenu le négationniste français Vincent Reynouard6
Dans une interview en 1973 Hergé dira : « Je conviens que moi aussi j'ai cru que l'avenir de l'Occident pouvait dépendre de l'Ordre nouveau. Pour beaucoup, la démocratie s'était montrée décevante, et l'Ordre nouveau apportait un nouvel espoir. Au vu de tout ce qui s'est passé, c'était naturellement une grossière erreur d'avoir pu croire un instant à l'Ordre nouveau » (interview accordée au Haagse Post en mars 1973). Et la même année, il analysera : « Ma naïveté à cette époque confinait à la bêtise, on peut même dire à l'imbécillité » (interview accordée au magazine flamand Elsevier.)[réf. nécessaire]