La mort de Dante Lazarescu (2005) Cristi Puiu

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MadXav
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La mort de Dante Lazarescu (2005) Cristi Puiu

Message par MadXav »

Dans le genre "personne n'en parle et pourtant ça a le droit d'exister", abordons aujourd'hui le cas "La mort de Dante Lazarescu" !
Il s'agit là d'un film roumain qui a trouvé le chemin des salles française le 11 janvier 2006 après avoir remporté le prix "un certain regard" au festival de Cannes 2005.
Deux ans et demi plus tard (le 3 juin 2008), l'éditeur BAC décide enfin de sortir le métrage en DVD. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Le film n'était-il pas commercialement viable ? C'est effectivement très certainement le cas ! Et c'est pourquoi je suis aujourd'hui assez surpris de voir qu'il s'agit d'une édition double DVD Digipack avec Scènes coupées commentées, Making of et Bandes-annonces. Le disque est bien évidemment au format 1.77 (proche du 1.85 d'origine) encodé 16/9eme avec pour unique option sonore la piste roumaine en stéréo (avec STF).
La jaquette :
Image

Perso, j'ai vu le film au ciné y'a un bout de temps... Séquence souvenir donc :
"La mort de Dante Lazarescu" nous compte l'histoire de monsieur Lazarescu, "vieil" homme de 63 ans vivant seul dans un petit appartement en compagnie de quelques chats. Un beau jour, Lazarescu est pris de douleurs ventrales (ce mot n'existe pas mais on le comprend) violentes. Il connaît bien ce genre de douleur et tente donc de remédier à la chose avec quelques cachetons. Malheureusement, son stock est épuisé et le voilà contraint d'aller frapper à la porte de ses voisins. Au lieu de soutenir le vieil homme, ses individus bien-pensants se la jouent moralistes et lui affirment que son mal est dû à sa trop forte consommation d'alcool. Car oui, monsieur Lazarescu est alcoolique... Après plusieurs minutes passées à se tordre de douleur sous les sermons de ses voisins bienveillants, Monsieur Lazarescu est embarqué par une ambulance. Alors qu'il se dirige à pleine vitesse vers l'hôpital le plus proche, Monsieur Lazarescu doit encore faire face aux propos moralisateurs de l'infirmière. Arrivé à l'hôpital, Lazarescu attend, attend et attend encore. Il souffre en silence, sans que personne n'y prête attention... Lazarescu est alors examiné rapidement : L'alcool, c'est mal, vieux con ! En plus, l'hôpital est plein de gens bien plus respectables qu'il faut soigner en priorité. Lazarescu repart donc en ambulance dans un autre hôpital, puis un autre et encore un autre...
Lazarescu finira par mourir sur une civière, dans la solitude la plus complète et après avoir été traité de tous les noms par de respectable toubib haineux... Il ne fallait pas boire monsieur Lazarescu...

Magnifiquement interprété, parfait dans son rythme et intelligent dans sa démarche, "La mort de Dante Lazarescu" est clairement de ces films que l’on n’oublie pas. Le regard critique qu'il porte sur l'administration et le corps médical respire l'authenticité et se situe à l'opposé de toute caricature facile (nous ne sommes pas ici dans le dernier Michael Moore !). Cristi Puiu nous sert un film authentique et poignant, à la limite du documentaire. Voilà qui rend d'autant plus touchant le personnage du vieux Lazarescu. Car si l'homme boit, il n'en est pas pour autant mauvais ou critiquable. C'est un homme fatigué, brisé par la vie et malheureusement, comme bon nombre de roumains (et d'autres), il a trouvé refuge seul dans la bouteille. Au lieu de tenter de soigner son mal-être, on le traite en enfant, en loque, en sous-homme. On ne soigne pas son mal, on pointe du doigt ses conséquences. Le spectateur, conscient des maux véritables de Lazarescu, ne peut dès lors qu'assister à une mort orchestrée par un corps médical déshumanisé, odieux, régit par des règles strictes et une montagne insurmontable de paperasse.
L’acteur jouant Lazarescu est tout simplement magnifique. Un de ces petits vieux tristes qui respire la sympathie et dont le regard crie à l’aide. Sa descente au cœur d’un enfer blanc et froid n’en est que plus malheureuse. Difficile de retenir une larme lors du final…
"La mort de Dante Lazarescu" est porte donc un regard alarmant sur la Roumanie d’aujourd’hui. Mais pas seulement. Ce regard est universel et c’est bien cela qui le rend dur et difficile à accepter…
Pas moralisateur pour deux sous, "La mort de Dante Lazarescu" adopte comme je l’ai dit un rythme parfait. A savoir que le film est lent. Très très lent. On sent bien la mort venir. Les plans fixes sont nombreux et les séquences « a priori » sans intérêt se multiplient durant presque 2h30. Pourtant, rien n’est sans intérêt dans ce film. Tout participe à nous faire partager la morosité du quotidien de Lazarescu et la froideur de la société en général (tout comme la scène du chien dans « Avalon » par exemple). Ce parti-pri osé fonctionne au final parfaitement, à tel point que deux ans plus tard, en repensant au film, j’ai encore de la tristesse pour le personnage de Lazarescu !

Bref. "La mort de Dante Lazarescu" est indiscutablement un film à découvrir. En revanche, ce n’est certainement pas un film accessible et nombreux sont ceux qui jèteront l’éponge avant la fin… Vous voilà prévenu, c’est un film qui fait appel au cœur et qui lui fait mal.
Dessin et sketching liés au cinéma, au voyage, etc. :
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mercredi
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Re: La mort de Dante Lazarescu (2005) Cristi Puiu

Message par mercredi »

Je partage l'enthousiasme et l'analyse de Madxav concernant un film qui, comme mon prédécesseur, m'a laissé un souvenir impérissable. Le réalisateur pointe du doigt les dérives occasionnées par l'édification de sociétés de plus en plus sclérosées dans des principes moraux qui, censés assurer le bien-être de tous, confondent le mal avec le symptôme. Consécutive à un déni de la vieillesse (et donc de la mort) de plus en plus flagrant en Occident, la solitude du protagoniste ne trouve aucune issue ici. Ainsi, les institutions (hôpitaux, administrations diverses) exercent leur action à "contre-emploi" en neutralisant via des paperasses et phrases "toutes faites" l'angoisse que la vision d'un être en fin de vie suscite naturellement chez elles. L'infantilisation puis le rejet consacrent donc l'exil ultime d'un homme dont les souffrances psychologiques (alcoolisme) et physiologiques s'éprouvent comme de véritables tares, visions d'une destinée que notre monde refuse d'assumer.
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