
"Padre Padrone" raconte l'histoire vraie de Gavino Ledda, fils d'un berger de Sardaigne, qui a commencé à apprendre à lire et écrire à 20 ans. Il a poursuivi ses études jusqu'à devenir un linguiste réputé et un écrivain, en dépit de l'opposition de son père...
Les frères Taviani ont commencé à réaliser des films dans les années 60, des films toujours à charge politique forte, nettement orientés à gauche. Leur carrière atteint son sommet avec "Padre Padrone", couronné la Palme d'Or de Cannes en 1977 des mains de Roberto Rossellini. Le sommet de leur popularité, en tout cas en France, commence avec ce métrage et continue jusqu'au milieu des années 80, avec des titres comme "La nuit de San Lorenzo" et "Kaos". Les deux frères continuent à tourner des films jusque dans les années 2010, mais les titres vont s'espacer et connaître moins d'écho.
"Padre Padrone" décrit de manière réaliste la vie des bergers de Sardaigne dans l'immédiat Après-Guerre. On ne peut que le rapprocher de "L'arbre aux sabots" d'Ermano Olmi, Palme d'Or de 1978, qui relate la vie d'une région paysanne au XIXème siècle, avec une orientation idéologique semblable.
"Padre Padrone" décrit d'abord l'enfance de Gavino, retiré de l'école très jeune par son père pour en faire un berger, en le laissant seul, isolé dans la montagne, avec le troupeau de chèvres familial. Elevé à coup de bâton et de baffes, Gavino grandit presque comme un animal, sous la coupe de son"père patron" comme l'indique le titre. Celui-ci considère ses enfants comme des éléments de son Capital, destinés à accroître la fortune et l'exploitation de la famille. Il reproduit en cela la norme féodale de l'agriculture sarde, basée sur la propriété privée jalouse. Ce père ne comprend pas que l'éducation et la culture sont bien plus à même d'apporter la richesse et l'ascension tant rêvée à sa famille.
Les frères Taviani parviennent à évoquer la poésie sauvage de la Calabre reculée, la communion sacrée des hommes avec la nature, les vendettas pittoresques, les bohémiens musiciens, les bandits de grand chemin. Ils ne masquent pas néanmoins la grande misère matérielle et surtout morale de ce pays où les hommes élèvent leurs enfants comme des animaux et comme des serfs ; où tout le système repose sur la cupidité ainsi que sur l'obéissance féodale des uns aux autres. En cela, "Padre Padrone" ouvre sans difficulté la porte à une lecture marxiste sur la capitalisme agricole et l'exploitation de la main d'oeuvre jusqu'au sein des familles.
"Padre Padrone" est aussi un film dur, avec son lot de séquences de "cruauté animale" comme on dirait aujourd'hui (encore un point commun avec "L'arbre aux sabots") et même de moments assez trashs, comme ces séquences soulignant la misère affective et sexuelle des jeunes paysans, soulageant leurs pulsions avec toutes sortes d'animaux de la ferme ! Néanmoins, aucun de ces moments durs ou "osés" n'est gratuit ou racoleur, ils sont totalement intégrés dans le récit et dans le propos des Taviani, qu'il soit narratif ou esthétique.
Tout cela étant dit, "Padre Padrone" n'a pas que des qualités. La forme se veut inspirée du néoréalisme italien, mais elle souffre parfois d'une facture amateur, que ce soit dans la photo, dans une mise en scène parfois maladroite ou dans une mixage de son super cru. Le film tire aussi en longueur, en particulier sur la fin. Certes, cela souligne la dureté et la difficulté du parcours de Gavino, mais cette seconde partie joue quand même avec la patience su spectateur.
"Padre Padrone" reste néanmoins un beau film, qui a sa propre poésie, refuse la manipulation du spectateur à l'hollywoodienne, expérimente dans son cinéma, souvent avec succès et humanité.
Vu sur le replay ciné+.