Cria Cuervos, Carlos Saura, 1976

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mercredi
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Message par mercredi »

eric draven a écrit :On ne va pas tergiverser sur le Beau, Eric s'est cru en cours magistral de philo.. contentons nous de parler du film dont comme mon ami Jeremie :wink: je voulais faire un topic depuis longtemps.. Voilà l'occasion. :D

Point étonnant DPG que tu gardes le souvenir d'un film pesant car voir ce film a l'école a 13 /14 ans, ce n'est pas du tout l'idéal.. revois le aujourd'hui avec tes yeux d'adultes.

On retrouve dans Cria Cuervos tout l'univers de Saura, univers auquel on peut être totalement hermétique et trouver particulièrement ennuyeux. Cria cuervos ne fait pas exception.

Ana a 8 ans, une petite soeur et une soeur ainée. Leur mère est morte, leur père également alors qu'il faisait l'amour à sa maitresse. C'est leur tante qui s'occupe d'elles ainsi que de leur grand-mère paralysée. Ana ne sourit jamais. Elle vit dans un monde imaginaire ou réel, peuplé de rêves, de souvenirs eux aussi veritables ou imaginaires. Elle pense aussi avoir le pouvoir sur la vie et la mort, n'hesitant pas à s'en servir. C'est à travers une Ana jeune femme, projection du futur, qui raconte Ana enfant qu'on suit le film...

Cria curvos est un fillm entièrement dédié à la mort. Tout le film en est imprégné: la mort atroce d'une mère malade et bafouée, battue qui a finalement renoncé à elle-même, mort du père alors qu'il fait l'amour à sa grotesque maitresse, mort interieure de la tante qui renonce a son bonheur, sa vie pour s'occuper corps et âme des enfants orphelins, mort cataleptique de la grand-mère qui vit clouée dans son fauteuil accrochée à ses souvenirs mais qui reste etrangement la plus proche d'Ana.

Et il y a Ana, fllette de 8 ans, fragile silhouette aux yeux charbon et fixes où rien ne se reflète. Elle est là, omni-présente, ombre qui voit tout, enregistre. Elle est la personnification du malheur, celui d'une enfance ravagée, etouffée par la faute des adultes tous pitoyables et cruels. Ana a tout vu: la mort, la souffrance, la misère, le mensonge, l'humiliation. Tant et si bien qu'au delà de sa sensibilité elle est persuadée que la mort n'est q'un passage, une transition vers un ailleurs, un passage dont elle pense avoir le secret, une delivrance contre l'horreur de la vie.

Cria cuervos est un drame existentiel, monotone, triste, baignant dans un quotidien sordide, d'une routine ronronnante: toilette, repas, jeux, rêves et cauchemars où tout y est different puisque cette mère adorée est vivante.!
Pardon pour le cours de philo :?
Cette relecture du film me fait en partie penser au également très "bel" "Incompris" de Comencini (sans le contexte historique, évidemment).
manuma
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Re: Cria Cuervos, Carlos Saura, 1976

Message par manuma »

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Je me suis enfin décidé à regarder ce film dont ma mère me parle régulièrement depuis mon adolescence. Et je ne regrette pas d’avoir attendu si longtemps, car plus jeune je me dis que tout comme DPG qui dit plus haut s’être fait chier devant (mais 13 ans, c’est vraiment jeune pour voir ce film) je n’en aurais peut-être pas autant apprécié l’extraordinaire richesse. Parce que l’on parle clairement d’un chef d’œuvre ici, un film magnifique sur le monde de l’enfance, atteignant pour moi une quasi perfection au niveau de l’écriture, de la maîtrise du discours. Je trouve qu’on a ici cette impression rare de comprendre exactement tout ce que le réalisateur a voulu dire dans son film. Pourtant dense et enrichi en seconde lecture d’une brillante peinture de la fin du régime dictatorial franquiste (l’Espagne en sortait à peine, il me semble), avec cette image de père militaire mort, ce décor de grande maison décrépie et cette vision d’enfants vivant cloitrés, le propos demeure limpide et le film, bien que très posé et plutôt audacieux dans sa narration – on y retrouve des procédés très à la mode aujourd’hui, comme ce mélange de réel et de situations rêvées par la gamine – toujours accessible. Autant de qualités qui font que l’émotion, qui passe beaucoup par l’image et le son – l’utilisation du tube de Jeanette, Porque te vas, est remarquable - vous submerge dès le générique de début pour ne jamais retomber. Enfin, cerise sur le gâteau, le film se pare d’une discrète, mais là encore totalement sous contrôle, dimension fantastique, à travers les apparitions presque fantomatiques de la mère ou cet aspect maison hantée que revêt la grande demeure dans laquelle vivent les 3 enfants. Marrant d’ailleurs de voir à quel point enfance et fantastique sont 2 thèmes étroitement liés dans le cinéma espagnol (je pense sur le coup à La Residencia, The Spirit of Beehive - que je n'ai pas vu - mais également aux plus récents The Others, The Devil’s backbone). Enfin, impossible de ne pas souligner la qualité de la prestation d’Ana Torrent, qui vous ensorcèle au premier regard … tous les enfants étant par ailleurs admirablement dirigés dans le film.
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