Le Corbeau a pour exploit d'avoir laissé son nom au fauteur de trouble "anonymographe" qu'il dépeint. S'inspirant d'une histoire vraie survenue à Tulle où avait sévi un rédacteur de lettres dénonciatrices signées L'oeil du tigre, allant jusqu'à en reprendre certaines méthodes d'enquête d'allure loufoque (obliger des gens à écrire des dictées durant des heures pour analyser leur écriture), le film de Clouzot est une très belle découverte, dont la réalisation est étonnamment moderne, tout comme son propos.
L'intention est bien de mettre en lumière les squelettes que tout à chacun cache dans son placard et de fissurer ainsi le vernis de bienséance et de probité sociale des soi-disant honnêtes gens. Si le contexte historique de l'occupation est à prendre en considération, en cette belle période de délation généralisée, le thème demeure finalement universel et intemporel. J'aime beaucoup comment Clouzot traite de manière naturelle des sujets comme la liberté sexuelle féminine, la toxicomanie ou l'aliénation mentale, surtout avec ce splendide personnage de psychiatre aussi cynique que sage, voire goguenard, qui passe son temps à moquer les postures et à effriter les certitudes sur la rectitude morale des bons villageois, sans pour autant s'en montrer jugeant.
Pierre Fresnay a la classe, la photographie est jolie, les idées de mise en scènes sont chouettes, bref les qualités sont multiples. On pourra trouver la fin un peu conventionnelle, le film titillant l'idée de la contagion sans aller jusqu'au bout. Assurément un classique à revoir.
Le Corbeau - Henri-George Clouzot (1943)
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