Au commencement était le livre : le Da Vinci Code. Puis vinrent les crises de foi. Celle d’une serveuse de Chicago qui prévient le Dr Lutzer, pasteur de la Moody Church, qu’elle ne pourra « jamais plus aller à la messe » depuis qu’elle a lu le Code, ou des membres d’un club littéraire qui en ont conclu que « des hommes assoiffés de pouvoir [ont] volé l’Eglise à Marie Madeleine pour faire de l’institution une structure dominée par les hommes ».
Vendu à 7 millions d’exemplaires outre-Atlantique, 300 000 en France, traduit dans 40 langues, bientôt adapté au cinéma... le Da Vinci Code, de Dan Brown, est décidément le bouquin auquel vous n’échapperez pas. Un thriller d’Eglise qui débute sur le meurtre du conservateur en chef du Louvre et enchaîne sur la course-poursuite entre un moine manipulé par l’Opus Dei et la petite-fille du conservateur, associée à un éminent spécialiste de symbologie de Harvard. Que cherchent-ils ? Le Graal, pardi ! Chemin (de croix) faisant, ils rencontrent le professeur Teabing, formidable « déconstructeur » du Nouveau Testament, ramené à une fabrication de l’Eglise aux premiers siècles après Jésus-Christ… Et voilà comment le Da Vinci Code a atterri dans les bénitiers américains. En faisant splash ! Car aux Etats-Unis on a une fâcheuse tendance à prendre au sérieux les « révélations » du roman...
Vade retro, rétorquent une demi-douzaine d’essais critiques apparus dans les librairies américaines. The Da Vinci Deception, Breaking the Da Vinci Code, Da Vinci Code : fact or fiction ? poursuivent un même objectif : contrer les erreurs, mensonges et hérésies contenus dans le thriller : « Voilà un livre proposé comme un document factuel, proteste Darrell Bock, chercheur au séminaire de Dallas et auteur de Breaking the Da Vinci Code. Un livre qui évoque une période sur laquelle la plupart des fidèles ne savent rien, et dont l’auteur assure présenter les conclusions d’une enquête sérieuse. Je crains que beaucoup ne se disent : “Et si c’était vrai ?” »
La première page du roman met les critiques en pétard. Elle dit ceci : « Les faits : toutes les descriptions de monuments, d’œuvres d’art, de documents et de rituels secrets évoqués [ici] sont avérées. » Promesse de vérité, classique en littérature, elle favorise la suspension du jugement chez le lecteur et rend crédibles les élucubrations du professeur Teabing quand il affirme que c’est au concile de Nicée, en 325, que s’opère « le virage décisif de l’histoire chrétienne. Constantin a commandé et financé la rédaction d’un Nouveau Testament qui excluait tous les Evangiles évoquant les aspects humains de Jésus et qui privilégiait – au besoin en les « adaptant » – ceux qui le faisaient paraître divin ». Faux !, répond le Dr Lutzer : « Des dizaines d’écrits des premiers siècles du christianisme prouvent que l’Eglise affirmait la divinité de Jésus bien avant le concile. Vers 110, par exemple, Ignatius, évêque d’Antioche, a écrit une série de lettres montrant sa certitude que le Christ était Dieu incarné. »
L’auteur, Dan Brown, ne s’en cache pas : ses « scoops » sur le « vrai » Jésus, il les tire pour l’essentiel de Holy Blood, Holy Grail, petit chef-d’œuvre de littérature « conspirationniste » (façon « on nous cache tout, on nous dit rien »), publié il y a une vingtaine d’années et dont voici le scénario : au IVe siècle, cherchant à asseoir son autorité politique, l’Eglise transforme Jésus en « Fils de Dieu ». Un Jésus très mortel qui souhaitait que Marie Madeleine, sa compagne, prenne sa suite à la tête de l’Eglise. Cerise sur le gâteau : les tourtereaux ont une fille dont la descendance – les rois mérovingiens ! – a traversé l’Histoire contre vents, marées et chausse-trapes du Vatican grâce à une organisation secrète (le Prieuré de Sion), dirigée un temps par Leonardo Da Vinci, et ce pour les siècles des siècles, amen.
L’histoire peut faire sourire. Mais ce diable de Dan Brown, s’il manque de style, sait touiller le vrai dans le faux pour en tirer un scénario « plausible » aux yeux de lecteurs avides de révélations ésotérico-new age. Ce qui, aux Etats-Unis, a semé la confusion dans les esprits.
La fille aînée de l’Eglise s’émeut beaucoup moins. La Conférence des évêques de France n’a reçu aucune réaction « qui mériterait que l’on fasse une mise au point officielle ». Quant à l’Opus Dei, fort malmené dans le Code, il affiche sur ses sites web des articles peu amènes pour le roman, mais se garde bien d’ajouter de la paille au bûcher : « Ce livre, c’est de la science-fiction, explique le chargé de communication, Arnaud Gency. Mais le scénario est tellement absurde que l’attaque finit par perdre en méchanceté. Dan Brown ne mérite pas un procès. » Il aurait bien aimé, pourtant...
En France, les historiens et des lecteurs attentifs restent interloqués devant les libertés que prend Brown avec l’histoire de l’art, la topologie du Louvre ou les mœurs parisiennes. Ainsi, lorsqu’il annonce (p. 138) que ses deux héros sont coincés dans la salle des Etats, « un des rares culs-de-sac du musée du Louvre », l’auteur oublie-t-il que cette salle « communique avec la galerie des peintures françaises de grand format », rappelle le marchand de tableaux anciens Patrick Weiller. Quand Brown évoque « un imposant Botticelli de 5 mètres de haut », il confond peut-être avec Les Noces de Cana de Véronèse, « qui se trouve effectivement dans la salle des Etats, ajoute Patrick Weiller, alors que le Louvre ne possède pas de grand Botticelli ». Et que dire de la téléportation des cadavres ? Celui du conservateur, que l’on avait laissé dans la salle des Etats en début du roman, gisait en fait, si on lit bien la page 102, « assassiné, dans son bureau du musée » ! Le diable – et le lecteur – en rit encore...